AVERTISSEMENT : Ce récit n’est en rien autobiographique. Il ne s’agit pas de souvenirs personnels. Les propos et faits décrits dans cette histoire ne reflètent en rien mes idées ou opinions. Ce récit est le fruits de divers témoignages d’anciens appelés du continent, de trois officiers, de quelques rapatriés d’Algérie, de harkis et d’anciens soldats du F.L.N. qui ont fui leur pays après le putsch de Boumediene. Ce récit est aussi le fruit de souvenirs de reportages radio, de reportages télévisés et de lectures en cachette d’articles dans le journal paternel. Certains propos et dialogues sont authentiques, d’autres sont la synthèse de divers propos tenus par différentes personnes. Tous les noms ont été changés et toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé serait fortuite.
L’INDÉLÉBILE CICATRICE
(ELOGE FUNÈBRE ANTE MORTEM D’UN AVENTURIER PAS COMME LES AUTRES)
Deuxième époque
UN MOMENT DE RÉPIT AVANT LE DÉPART.
Chapitre 2
Du cocon familial pour une contrée inconnue.
Après une demi-heure de trajet dans une rame bondée et plusieurs stations, Xavier descendit à la station Saint Lazare et sortit dans la rue. Près de quelques minutes de marche, il se trouva devant l’immeuble de ses parents. Calmement mais impatient de retrouver les siens, il grimpa l’escalier et frappa à la porte. Elle s’ouvrit et il se trouva devant son petit frère Bernard tout étonné de le voir là. Dans des cris de joie, le cadet appela aussitôt :
– Papa, maman ! Il y a Xavier qui est ici.
Ses parents et sa sœur accoururent aussitôt. Ils serrèrent leur fils dans leurs bras, l’embrassèrent et l’interrogèrent :
– Qu’est ce que tu fais ici ?
– J’ai une permission de cinq jours avant de partir alors j’en profite.
Il pénétra dans le grand appartement et dut subir un flot de questions. Son père commença :
– Alors mon garçon, ça s’est bien passé ?
– Oui père. J’en ai titré quelques leçons.
Sa mère prit aussitôt la relève :
– Ce ne fut pas trop difficile au moins ?
– Je dois reconnaitre que parfois ce ne fut pas du gâteau mais ça m’a servi.
Son père le questionna à nouveau
– Mais tu es galonné ma parole ! A quoi est-ce dû ? Tu as fayoté ?
– Pas du tout père. Il parait que je suis un homme de caractère qui possède un tempérament et en qui ils ont vu un meneur d’hommes. Ils avaient besoin de quelques officiers parmi les appelés et, quand ils ont lu mon livret militaire, les appréciations de l’instructeur et mes diplômes, leur choix s’est porté sur moi.
LA CURIOSITÉ DU BENJAMIN
Son petit frère tournait autour de lui et le regardait sous toutes les coutures. Depuis qu’il était rentré, le jeune garçon ne cessait de le dévisager. Xavier sentit que des questions démangeaient le petit Bernard.
– Allez Bernard, pose tes questions. Tu en meurs d’envie.
Le jeune garçon ne se fit pas prier :
– Tu n’as plus de cheveux ? Qu’est ce qu’il t’est arrivé ?
– Rien de grave mon petit frère. On m’a coupé les cheveux à l’armée, c’est tout.
– Ah bon ? Et pourquoi ils te les ont coupés très très courts ?
– Par mesure d’hygiène et pour que je puisse mieux porter mon calot.
Sans attendre, Xavier fit glisser son calot de dessous ses épaulettes et le mit sur sa tête. Le jeune Bernard réagit alors :
– Ah oui. Là, je comprends mieux.
– C’est quoi les barres que tu as sur ta manche et sur ton chapeau bleu ?
– Ce sont mes galons de lieutenant et le chapeau s’appelle un képi.
– Un lieutenant qu’est ce que c’est ?
– C’est un officier Bernard.
– Comme un général ?
– Oui mais c’est beaucoup moins important qu’un général.
– Et tu vas commander à beaucoup d’hommes ?
– Oui. A une quarantaine de soldats.
Le garçon détaillait avec admiration l’uniforme de son frère aîné et continua son interrogatoire :
– Et sur tes épaules, qu’est ce que c’est ?
– Ce sont des épaulettes sur lesquelles sont placés mes galons.
L’enfant avait soif d’apprendre, fier de voir frère ainsi vêtu :
– Et les insignes sur ta manche gauche, qu’est ce que c’est ?
– En haut tu as le blason de a ville où est stationné mon régiment et en dessous c’est un losange qui permet d’identifier l’arme à laquelle appartient mon régiment. Sur celui-ci tu aperçois deux épées pour l’infanterie. Le frère de Xavier ne tarissait pas de question au sujet de l’uniforme de son ainé.
– Et sur le haut de ta manche droite ?
– Ça, c’est l’écusson de bras qui précise à quelle unité j’appartiens.
– C’est beau. Et celui qui est accroché à ta poche droite qu’est ce que c’est ?
– C’est mon insigne de corps qui indique le régiment au sein de laquelle je sers.
De plus en plus curieux devant Xavier en uniforme, son petit frère possédait une foule de questions à lui poser et continua :
– Et l’insigne qui se trouve sur ton képi ?
– Les fusils croisés et la grenade ? Ça, c’est un pin’s qui est l’insigne de l’infanterie dont fait partie mon régiment.
Son petit frère, admiratif devant son aîné, ne cessait de poser des questions et continua :
– Et ça, c’est ton uniforme de soldat ?
– Oui. C’est ma tenue sable. On l’appelle ainsi parce qu’elle a la couleur du sable. C’est une tenure claire pour nous aider à supporter le soleil du pays dans lequel je vais partir. On la porte quand nous sommes en permission en ville ou quand nous défilons.
– Etonné, le cadet voulut en savoir plus :
– Parce que tu possèdes un autre uniforme ?
– Oui. J’ai une que je porterai quand nous serons en opérations pour surveille ou protéger. On l’appelle la tenue Léopard. C’est une tenue de camouflage. Elle est de plusieurs couleurs : celle des pierres de la terre, des cailloux, des feuilles ou de l’herbe. Ça nous permet d’être moins repérables quand on surveille. Viens, je vais t’en montrer une.
Xavier ouvrit alors un grand dictionnaire et montra à son frère ce à quoi ressemblait la tenue de camouflage.
Intrigué, le jeune garçon la regarda dans le détail et laissa échapper :
– C’est laid. Ce n’est vraiment pas élégant. Je préfère celui que tu portes aujourd’hui.
Le garçon voulait en savoir encore plus
– Et est-ce que tu as une arme ?
– Oui. Un fusil et un pistolet.
Et tu vas tuer des gens alors ?
– J’espère bien que non. Je pars là-bas pour surveiller et maintenir l’ordre. S’il y a des manifestations, je me trouverai là avec mes hommes pour calmer les manifestants et les empêcher de faire des dégâts.
LES JOIES DU RETOUR À LA VIE FAMILIALE
Alors qu’il s’apprêtait à poser d‘autres questions, le père de Xavier intervint et mit un terme au flot incessant de questions du jeune Bernard :
– C’est bien Bernard. Ton frère vient juste de rentrer et il a certainement envie de parler d’autres choses.
Se tournant vers son fils aîné, il lui demanda :
– Je suppose que côté nourriture, l’armée n’a pas beaucoup changé et que l’ordinaire se limite au strict nécessaire ?
– Je dois reconnaitre, père, que par moments et même souvent, les petits plats mitonnés par maman m’ont énormément manqué.
A peine avait-il prononcé ces mots que son père réagit :
– Et bien, nous allons réparer ce manque de l’armée qui n’est pas très camarade avec la gastronomie. Habillez-vous tous, nous allons au restaurant.
Xavier coupa la parole à son père :
– Père, ne dépensez pas votre argent inutilement parce que suis de retour en permission. Les bons plats de maman me suffiront largement.
– Non mon garçon. Tu nous reviens pour cinq jours avec des galons en plus. Ça se fête et je tiens à marquer ce premier soir. Tu goûteras à la cuisine de ta mère les jours suivant.
Ils descendirent tous et se rendirent dans un petit restaurant de bonne réputation. Alors qu’ils marchaient et discutaient ensemble, Xavier interrogea son père :
– Avez-vous remarqué la façon dont les filles me dévisagent père ? Elles ont un regard étrange et ne cessent de sourire à chaque fois qu’elles me croisent. Qu’est-ce que j’ai de spécial ? C’est à cause de ma coupe de cheveux « razibus » ?
– Non non ! Sois rassuré. Ça n’a rien à voir bien au contraire. Ça, mon garçon, c’est le prestige de l’uniforme. Dans le regard de ces jeunes filles, il y a une sorte d’admiration. Pour elles, un soldat, c’est un homme fort, un homme sur qui on peut compter et, dans leur esprit, c’est un homme avec qui elles se sentent protégées. Les galons ne font qu’augmenter cette fascination et ce prestige.
Xavier répondit sur un ton amusé :
– Humm humm ! Je vois je vois. Voilà qui offre de belles perspectives.
Son père laissa un sourire se dessiner sur son visage mais ajouta :
– C’est vrai Xavier mais n’en abuse pas trop tout de même.
Après vingt minutes de marche, ils s’arrêtèrent dans un restaurant et y pénétrèrent. Toute la famille prit place et commença à dîner. Ils discoururent du quotidien, racontèrent ce qu’il s’était passé dans la famille durant l’absence du fils aîné tandis que Xavier leur détaillait quelques anecdotes vécues pendant ces quatre mois. Des anecdotes qui firent parfois rire tandis que d’autres effrayaient le petit Bernard. Il décrivit ses classes, ses longues marches sac au dos, ses exercices et la punition subie pour avoir rouspété. Une heure et demie plus tard, ils sortaient tous en direction du logis parental. Xavier eut cette remarque :
– C’était un délice. Merci père, merci maman. Ça m’a changé des repas pris à la cantine, je vous l’avoue. Je suis rassasié.
Quelques instants plus tard, tous réintégraient le logis. Xavier rentra dans sa chambre et se laissa tomber sur son lit et s’exclama :
– Que c’est bon un vrai lit ! Si vous saviez comme ça m’a manqué. Les lits à la caserne n’ont rien de confortables et sont vraiment durs.
Il se coucha rapidement et, pour la première fois depuis quatre mois, dormit à poings fermés d’un repos bien mérité après tant de journées difficiles.
SORTIES PARISIENNES ET FRATERNELLES
Le lendemain matin, il se leva à huit heures et demie entièrement requinqué.
Une fois douché et habillé, il profita de ce petit déjeuner qui lui avait tant manqué durant ces longues journées.
Celui-ci avalé et, après avoir discuté avec ses parents, il demanda à son frère et à sa sœur :
– Ça vous dirait que je vous emmène visiter des beaux endroits de Paris ?
– Son frère s’emballa mais lui demanda :
– Tu ne mets pas ton bel uniforme Xavier ?
– Oh non mon bonhomme ! Cet uniforme je vais le porter tous les jours sans porter rien d’autre. Alors là, je m’habille en civil comme père et les autres messieurs.
Puis, se tournant vers sa sœur, il l’interrogea :
– Tu te dépêches Odile. Il faut qu’on y aille.
Sa sœur lui répondit aussitôt :
– Pas moi. Je ne viens pas avec vous. J’ai rendez-vous avec des copines.
– Comme tu veux mais demain tu m’accompagnes. Fais-moi une liste des endroits que tu voudrais voir et nous irons ensemble.
Un rendez-vous avec des copines ? Xavier n’était pas dupe : sa sœur était une fort jolie jeune fille qui avait tout pour plaire et il se doutait que les retrouvailles avec les copines s’accompagnait avant tout d’un rendez-vous avec un garçon auquel elle tenait.
Il prit sa sœur à part et lui chuchota :
– Tes copines tu vas les voir avec un Philippe, un Paul ou un autre je suppose ? Ne t’inquiète pas, je ne dirai rien au parents mais sois prudente et ne fais pas de bêtises.
Réalisant que son frère ainé avait percé son secret, la jeune fille, s’empourpra et lui répondit :
– Rassure-toi, je sais rester sage.
Après une petite heure, il emmena son frère et lui annonça :
– Viens Je vais t’emmener voir le plus beau musée du monde et tu vas y voir ses merveilles. Je t’emmène au Louvre. Son frère ronchonna mais Xavier lui expliqua :
– Ne râle pas avant d’avoir vu et tu parleras après.
Ils visitèrent le Louvre toute la matinée et le jeune garçon fut étonné devant la Venus de Milo, la Victoire de Samothrace ou une statue de Michel-Ange. Toutes l’intriguèrent :
– Pourquoi la dame devant moi n’a pas de bras ?
– Parce que c’est une statue qu’on a retrouvée sous terre et qui est vieille de plus de 2000 ans.
– Et celle qui a des ailes et pas de tête ?
– C’est pareil. On l’a trouvé dans cet état.
– Tu as vu le monsieur là, il est tout nu et ils ne lui ont pas caché la quéquette !
– Normal Bernard. Dans l’antiquité être nu ne choquait pas les gens et parfois, les athlètes couraient tous nus.
– Maintenant que tu as vu plein de beautés, dis-moi, ça t’a plu ?
– Oh oui beaucoup.
– Ça te dirait de monter dans la tour Eiffel ?
Le garçon sursauta de joie :
– Oh oui ! Super !
– Alors suis-moi, on y va.
Une demi-heure plus tard Xavier et son frère se retrouvaient au premier étage de la vieille dame de fer. L’enfant, les yeux écarquillés, regardait Paris tout autour de lui et n’en revenait pas. Devant sa joie, son frère aîné lui annonça :
– Tu as faim mon bonhomme ?
– Un peu oui parce je n’ai rien mangé depuis ce matin.
– Et bien prépare-toi, on va manger ici.
Très étonné, Bernard laissa apparaitre un large sourire de contentement. Quelques minutes plus tard, ils mangeaient tout en regardant parfois Paris d’en haut ;
Ce repas terminé, Xavier emmena son frère au second étage de la tour puis ils redescendirent.
Une fois en bas, l’aîné expliqua à son frère :
Je vais t’emmener voir une cathédrale que les ouvriers ont mis plus de cent ans à bâtir. Elle est considérée comme une des plus belles cathédrales du monde.
Une demi-heure plus tard, les deux frères pénétraient dans la cathédrale Notre Dame.
L’enfant en ressortit émerveillé et riche des explications que lui avait donné son grand frère. Le garçon était ébahi devant toutes les connaissances de son frère et lui demanda :
– Comment sais-tu tout ça Xavier ?
– J’ai travaillé à l’école et au collège, j’ai bien appris mes leçons et lu beaucoup de livres.
Deux heures plus tard, les deux frères pénétraient chez lez leurs parents. Intarissable, le jeune Bernard racontait à ses parents tout ce qu’il avait vu et son repas dans la tout Eiffel.
Le père de Xavier prit son ils à part :
– Xavier ! Je comprends que tu sois heureux de retrouver ta famille mais il ne faut pas que ta solde y passe. Economise mon garçon. Tu vas en avoir besoin quand tu seras là-bas lorsque tu auras droit à des sorties et que tu voudras te faire plaisir.
Le lendemain, Xavier questionna sa sœur qui lui fit cette proposition :
– J’aimerais voir des groupes de rock au Golf Drouot
Son père intervint aussitôt :
– Quoi ? Tu veux aller voir ces jeunes qui hurlent sur une musique de sauvage, Il n’en est pas question ! C’est un lieu mal fréquenté. On y trouve des blousons noirs. Il n’est pas question que tu côtoies ces énergumènes.
Xavier intervint et tenta de rassurer son père :
– Laisse père et ne t’inquiète pas. Je veillerai sur elle.
Son père céda et Xavier emmena sa sœur voir ces fameux groupes. Il fut le premier étonné en entendant cette nouvelle musique qui n’avait rien à voir avec le jazz, la java ou le swing qu’il connaissait mais, la grande surprise de sa sœur, elle ne lui déplut pas.
Après avoir entend et vu bon nombre de chanteurs et groupes, Xavier prit sa sœur par le bras et lui dit :
– Odile, il est plus de midi. Ill est temps d’aller manger. Que veux-tu pour ton déjeuner ?
– Je voudrais manger comme les Américains. J’aimerais manger un hotdog avec un bon Coca-Cola.
Son frère se renseigna auprès de jeunes dans la salle et emmena sa sœur.
Quelques minutes plus tard, ils étaient attablés et quand le serveur se présenta, Xavier commanda :
– Pour mademoiselle un bon gros hot-dog et un Coca –Cola. Pour moi, un jambon-beurre-cornichon et une pression s’il vous plait.
Le repas fut meublé par une conversation sur tous les sujets. Celui-ci terminé, ils sortirent et Xavier interrogea sa sœur :
– Et maintenant que veux-tu voir ?
– J’aimerais visiter les Galeries Lafayette, il parait que c’est superbe.
– Odile, si tu comptes y faire des achats, tu n’auras jamais assez de ton argent de poche. C’est un des magasins les plus chers de Paris.
– Sois rassuré, je ne compte faire aucun achat. C’est juste pour admirer.
C’est un fait que sa sœur se montra très raisonnable et visita le magasin juste pour admirer. Pour toute emplette, elle se contenta d’acheter un fichu devant lequel elle avait finalement succombé. Elle le mit sur sa tête et son frère acquiesça :
– Il te va très bien. Je te trouve fort élégante ma sœurette.
En fin d‘après-midi, tous deux étaient de retour chez leurs parents. Son père demanda à Xavier :
– Et pour demain, qu’as-tu prévu à ton programme ?
– Rien père. Je compte rester ici car ce va être ma dernière journée avec vous. D’ailleurs, comme nous risquons de partir tôt après-demain, j’aimerais rejoindre la caserne demain en fin de journée.
– Comme tu voudras mon fils.
Avant qu’il n’aille se coucher, son père lui administra quelques conseils de vocabulaire :
– Xavier, lorsque tu seras arrivé, il va falloir te familiariser avec quelques mots.
– Oui père. Et quels sont-ils ?
– En Algérie apprends qu’un bled est un petit village, l’Atlas sont des montagnes au sud du pays, le djebel est un massif montagneux, la fatmah signifie femmes en arabe, qu’un fellah est un paysan. Ne les confonds pas avec les fellagahs qui sont rebelles qui mettent le bazar dans ce pays. Et surtout mon fils, respectent leurs us et coutumes, leurs traditions. Ne fais aucune remarque si l‘une d’entre elles te choque. Te rappelleras-tu ce que je viens de te dire ?
– Oui père. Tout cela est noté. Rassure-toi.
Sur ces paroles et conseils, il embrassa ses parents et rentra dans sa chambre pour se coucher.
RETOUR À LA VIE MILITAIRE ET PREMIERS ORDRES
Il se leva le lendemain après avoir bien profité de son lit, se prélassa dans l’appartement de ses parents et discuta longuement avec eux. Vers dix-huit heures, il partit dans sa chambre et remit son uniforme. Une fois habillé et son sac à la main, il annonça à sa famille :
– Bon, maintenant j’y vais.
Son père l’interrompit aussitôt :
– Nous allons t’emmener fils. Tu seras plus vite arrivé.
Trois quart d’heures plus tard, Xavier se trouvait devant l’entrée de sa caserne. Sa mère lui demanda :
– Sais-tu à quelle heure tu quittes Paris ?
– Aucunement maman. Je vais me renseigner de ce pas.
Le jeune Xavier traversa une partie de la cour et croisa un des capitaines, le salua et le questionna :
– Mon capitaine, mes parents voudraient obtenir un renseignement.
Apercevant la famille de Xavier, l’officier leur fit signe de le rejoindre. Lorsqu’ils furent face à lui, il s’adressa à eux :
– Mes hommages madame ! Mes respects monsieur ! Je vois que vous portez à votre boutonnière quelques médailles prestigieuses et je les salue
Le père de Xavier répondit alors :
– Il n’y a rien d’extraordinaire capitaine. Je n’ai fait que remplir mon devoir comme vous l’auriez fait.
La capitaine les interrogea :
– Que désiriez-vous donc savoir ?
– Nous aimerions savoir à quelle heure notre fils quitte Paris et où a lieu le départ ?
– Trouvez-vous devant la caserne dès sept heures demain. Essayez d’être en avance car il y aura beaucoup d‘autres parents. Le départ des trains a lieu à la gare de Versailles-Chantiers.
Sur ces réponses, les parents embrassèrent leur fils et réintégrèrent leur automobile.
A cinq heures et demie le lendemain Xavier et tous les autres appelés se trouvaient dans la cour, obéissant aux ordres d’officiers qui leur montraient des camions et des bus militaires alignés les uns derrière les autres. Après une longue demi-heure, des centaines d’hommes étaient agglutinés sur le trottoir pour dire au-revoir à leurs parents Soudain, vers sept heures moins le quart, Xavier vit arriver sa famille au loin qui le cherchait des yeux. Surpris, il fut étonné de les voir au milieu des autres parents, Il courut vers eux et leur dit :
– Suivez-moi sur le trottoir. Nous nous dirons au-revoir ici.
Alors qu’il s’apprêtait à saluer une dernière fois sa famille, un sergent intervint et tenta de les séparer avec des mots brefs :
– Allez ! On ne prend pas de retard. Dépêchez-vous de grimper dans un des camions ou des cars.
Choqué, Xavier fixa durement le sous-officier et l’entraina à quelques pas de ses parents. Le sergent se rebiffa :
– Je vous ai donné l’ordre de monter dans le train
Courroucé, Xavier porta un de ses doigts à une de ses épaulettes et demanda avec autorité au sous-officier :
– Sergent ! Que voyez-vous là ?
Par réflexe, l’homme se mit au garde-à-vous et salua. Penaud, il s’exprima :
– Veuillez m’excuser mon lieutenant.
Avant qu’il ne fasse demi-tour, Xavier le retint et le sermonna :
– Je n’ai pas terminé sergent. Veuillez m’écouter attentivement. Vous rendez-vous compte de ce que vous faites sur le quai sergent ?
– Oui mon lieutenant. J’exécute des ordres.
– Alors, apprenez sergent, que dans certaines occasions, les ordres sont faits pour être exécutés en s’adaptant aux situations. Vous ne trouvez pas que les situations vécues sur le quai sont difficiles ?
– Si mon lieutenant mais…
Sèchement et avec beaucoup d’autorité, Xavier s’en prit au sous-officier :
– Vous vous rendez compte que ces familles disent au-revoir à leur fils ou leur frère peut être pour la dernière fois ? Vous êtes conscient que, sur ce quai, pour certains parents ces au-revoir à leur fils sont peut être les derniers et qu’ils ne le reverront peut être jamais vivant ? Vous en rendez-vous bien compte sergent ?
Gêné, le sous-officier bafouilla :
– Je ne voyais pas les choses comme ça mon lieutenant.
– Et bien, désormais agissez en sergent sans oublier que vous êtes un homme avant tout. Laissez un peu de temps à ces familles pour se dire au-revoir et avant de les séparer, montrez-vous humain et compréhensif. C’est un ordre ! Compris ?
– Compris mon lieutenant.
De loin, les parents de Xavier avaient assisté à la scène et son père dit à son épouse :
– Nous n’avons pas à nous inquiéter. Notre fils s‘avère être un meneur d’hommes. J’aime assez ça. Xavier les rejoignit.
Une autre personne, non loin de là, avait assisté à cette scène : il s’agissait du capitaine du régiment de Xavier. Vexé d’avoir été rabroué par un jeune lieutenant, le sergent ne tint pas compte de ses ordres et se dirigea vers lui. Xavier s’en aperçut et observa discrètement la scène.
Durant quelques minutes, une brève conversation s’engagea entre le sous-officier et le capitaine. Apparemment, les propos du sergent ne convainquirent pas l’officier. La conversation terminée, le sergent salua et quitta son supérieur. Le capitaine qui avait aperçu Xavier, opina du chef et leva son pouce discrètement. Xavier se sentit réconforté. Quelques secondes lus tard, le sergent se présenta devant lui, se mit au garde-à-vous, le salua et dit :
– Je vous prie de m’excuser mon lieutenant.
– Excuses acceptées sergent. Allez ! Retournez faire votre travail et montrez-vous plus tolérant et humain avec ces familles. Dès que vous aurez rejoint le quai, transmettez cet ordre à vos collègues. Compris ?
– Compris mon lieutenant.
– Alors, rompez ! Et agissez en vous montrant plus conciliant et plus diplomate sinon je vous sacque.
DERNIERS AU REVOIR
Xavier et ses parents continuèrent leur conversation là où elle avait été interrompue. Son père s’adressa à lui en ces termes.
– Mon garçon, je t’ai vu à l’œuvre et je sais que tu sauras mener tes hommes en bon officier. Puisque tu vas avoir des hommes à commander, sois ferme et autoritaire avec eux mais, avant tout, respecte-les et montre-toi juste.
– Oui père. Je ne comptais pas agir différemment. Se tournant vers sa sœur, il lui conseilla :
– Ma sœurette, décroche ton baccalauréat et fais de belles études. Ça te donnera l’occasion de faire le métier qui te plaira.
Puis, s’accroupissant devant son frère, il lui conseilla :
– Et toi, Gérard, maintenant que tu es au collège, travaille dur et bien. Ça te permettra de décrocher un beau diplôme qui te donnera l’occasion d’avoir le métier de tes rêves.
Le frère et la sœur acquiescèrent après avoir entendu les propos de leur frère. Celui-ci les serra dans ses bras et les embrassa.
Il s’approcha de son père qu’il étreignit longuement, un père qui lui prodigua des derniers conseils :
– Au revoir mon fils. Une fois arrivé là-bas, sois digne et conduis-toi en homme, sois brave mais pas intrépide, courageux mais pas téméraire et ne prends pas de risques inutiles.
– Je vous le promets, père.
Avant qu’il ne quitte ses bras, son père mit la main dans sa poche intérieure et sortit des billets de banque :
– Tiens mon fils, voici 10 francs. Ça t’aidera à améliorer l’ordinaire.
Emu, Xavier remercia son père :
– Merci père mais il ne fallait pas vous savez.
Après une dernière longue étreinte, il marcha vers sa mère, qui, la gorge nouée, avait les yeux embués de larmes. Bien que le cœur lourd à l’idée de quitter ses parents et de partir pour une destination inconnue, Xavier tenta de faire bonne figure pour ne pas alourdir le chagrin de sa mère :
– Au-revoir maman. Ne pleure pas, je t’en prie. Comme je l’ai dit à père, je me montrerai prudent. Ce que je pars faire là-bas, c’est du maintien de l’ordre alors, ne te tracasse pas.
Sachant pertinemment qu’il mentait à sa mère, il la serra contre lui, l’embrassa longuement et lui promit :
– C’est un au-revoir maman. Je vous écrirai dès que j’aurai du temps. Bon, maintenant il faut que je vous quitte.
Xavier laissa ses parents sur le trottoir.
Lorsqu’il s’apprêtait grimper dans un des camions où étaient entassés des soldats par groupes de huit ou dix, un sergent vint vers lui :
– Pas vous mon lieutenant. Vous allez dans un des cars avec les autres officiers et les sous-officiers.
UNE ÉTRANGE DESTINATION
Xavier s’exécuta et monta dans un des cars.
Une fois les camions et les cars pleins et Xavier à l’intérieur, il essaya de trouver urne place pour pouvoir faire un dernier signe de la main à ses parents. Cette place trouvée, alors que les véhicules se mettaient lourdement en marche et commençaient à rouler, les parents virent peu à peu s’éloigner leur fils qui se pencha à la fenêtre et leur fit des derniers gestes de la main.
Le convoi se mit en route vers la gare de marchandises «Versailles Chantiers» que certains nommaient, «Versailles Matelots» parce qu’il se trouvait non loin du Camps des Matelots.
Après une longue heure de route à travers la banlieue parisienne, ils arrivèrent et s’arrêtèrent à sa grande surprise tout comme celle des autres soldats dans une dans une vaste gare qui n’avait rien de celle à laquelle ils s’attendaient tous. Ils se trouvaient dans une immense gare de triage et de marchandises, en pleine campagne.
Encore sous l’effet de leur surprise devant cette gare à laquelle ils ne s’attendaient pas, les hommes descendirent des camions et des cars et rejoignirent le quai où les attendait
Tous descendirent et se retrouvèrent agglutinés sur les quais. Inquiet, l’un d’eux, voyant tous les wagons de marchandises alignés les uns derrière les autres, interrogea ses camarades :
– Ils ne vont tout de même pas nous faire voyager dans ces wagons ?
Un de ses camarades, farceur, lui répondit avec beaucoup d’assurance :
– Si bien sûr. Qu’est ce que tu croyais ? Voyager en première classe ?
Atterré, l’autre soldat s’inquiéta :
– Mais ce va être très inconfortable. Et le voyage, il va durer combien de temps ?
– Rassure-toi, ils ont installé des couchettes. Le terminus est à deux mille kilomètres alors le voyage va durer au moins vingt heures.
Le soldat n’en revint pas et resta coi durant de longues minutes sans s’apercevoir que ses camarades riaient sous cape.
Surpris lui aussi par ce lieu de départ, Xavier se fraya un passage au milieu des soldats et chercha un officier. Il tomba sur un capitaine qui fumait sa pipe. Après s’être excusé auprès de lui, il lui posa une question sur ce qui le taraudait :
– Dites-moi mon capitaine, pourquoi embarque-t-on dans une gare de marchandises et non dans une gare normale ?
Le capitaine lui donna une explication très simple et fort claire :
– Les départs en train des soldats se font à partir de cette gare. Nous démarrons d’ici parce qu’au début, des gens opposés au départ de soldats en Algérie, des pacifistes comme ils s’appellent, venaient perturber les départ et les retarder le plus possible. Certains bloquaient les camions et les cars, d’autres envahissaient les quais et faisaient barrage pour empêcher les hommes d’avancer. On en a même vu qui s’allongeaient en travers des voies pour empêcher les trains de démarrer. A chaque fois, il fallait faire intervenir les gendarmes et les C.R.S. pour rétablir l’ordre mais nous partions toujours avec une à deux heures de retard. Donc, désormais nous partons d’ici exprès pour que les embarquements des militaires soient discrets.
Xavier rejoignit les soldats et voyant le soldat inquiet le rassura en lui expliquant que ses copains lui avaient fait une blague.
Leur train qui s’étirait sur des dizaines de mètres les attendait, un train perdu au milieu de trains et de wagons de marchandises dont certains commençaient à se mettre en mouvement.
Xavier grimpa dans un des wagons et tenta de se faire une place dans un des compartiments, où les soldats se trouvaient à huit par compartiment. Après de longues minutes à arpenter les couloirs avec sa valise et son sac, il trouva un compartiment avec une place de vide. Il s’adressa aux soldats déjà présents :
– Bonjour les gars ! Cette place est-elle libre ?
Sans hésitation, les soldats répondirent :
– Oui mon lieutenant. Installez-vous.
Il rangea sa valise, posa son sac sous son siège et s’installa le plus confortablement possible. Un des hommes l’interrogea :
– Nous allons bien à Marseille mon lieutenant ?
– Absolument soldat.
Une autre question fusa :
– Et savez-vous combien de temps dure le voyage ?
– Je ne saurais vous dire précisément mais comme nous sommes à près de mille kilomètres de Paris et que nous allons sûrement nous arrêter de temps à autre, je suppose que notre voyage va durer au moins dix heures.
Trois quart d’heures plus tard, le train se mettait lourdement en marche. Dans l’esprit de Xavier, de nombreuses idées et des sentiments divers et parfois confus se mélangeaient : une époque nouvelle s’ouvrait devant le jeune officier qui partait vers l’inconnu.
Yann Brugenn
© aout 2020
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