Enfermement


Enfermement

ville la nuit 1

Entre les tours aux lourdes paupières closes

D’où s’échappe une odeur d’amertume

Je caresse l’avenue comme sous hypnose

D’où aucune vie ne s’évade et n’exhume.

Entre les tours de ces immeubles blafards

J’arpente les tristes rues abandonnées

Qui n’osent, silencieuses, avouer leur cafard

De ne plus entendre les bruits de la cité.

 

Pour oublier, dans ces tours chacun dort

D’un sommeil peuplé de chants et de liberté

Aux carrefours par un képi, pas un pandore

Trop fatigués d’avoir tant marché et verbalisé

Quelques rares petits yeux jaunes et timides

Fixés à la tristesse et l’obscurité des parois

Me jettent des vifs regards froids et perfides,

Actes nocturnes cachés accusateurs et sournois.

 

Orphelins des sons rythmés de leur triste ville,

Parcs et rues pleurent la chanson des promenades

Ils étouffent sous la pesanteur de lieux trop tranquilles

Qui témoignent qu’aucune source de vie ne s’évade.

Leur ville meurt hypnotisée par des mots meurtriers

De tous ceux ordonnent et annoncent tout savoir,

Ces gens convaincus de détenir la seule vérité

Et s’en servent comme outil de peur et de pouvoir.

 

Je regarde l’’immense voile sombre et muet

Qui étouffe les rues désertes et sans vie

Désolées devant les vitrines abandonnées, 

Ces boutiques qui plus jamais ne leur sourient,

Prisonnières d’implacables grilles d’acier

Des vitrines sans plus aucune existence

Qui ont tout abandonné une envie de gaieté,

Ont tout oublié de ce qui faisait leur prestance

Amnésiques de ces yeux qui les ont désertées.

nuit étoilée

Je plonge mon regarddans la noire nuit maligne

Fixe le sombre parchemin céleste multimillénaire 

Sur lequel sont gravées de nombreuses lignes

Ecrites avec des milliards de lettres stellaires.

Plongé dans cet immense roman séculaire,

Je cherche les quelques lignes de ma destinée

Quelques mots qui pourraient me plaire

Quelques mots pour nous juste griffonnés

 

Je cherche à décrypter un bout de notre avenir,

A déchiffrer quelques fragments de notre destin,

Une suite de mots étoilés que je pourrais lire

Griffonnés par un auteur à l’esprit plaisantin

Une lettre céleste qu’une main invulnérable

Une missive qu’accepterait de nous envoyer

Le Grand Ecrivain et Auteur imperturbable

Dans son œuvre infinie qu’il désire éternelle.

ville la nuit 1

© Yann Brugenn

mars 2021

copyright n°00050531-1

Droits d'auteur Sceau1

L’INDÉLÉBILE CICATRICE Deuxième époque VERS UNE TERRE INCONNUE Chapitre 7 : DU RIFIFI CHEZ LES TROUFIONS


AVERTISSEMENT : Ce récit n’est en rien autobiographique. Il ne s’agit pas de souvenirs personnels. Les propos et faits décrits dans cette histoire ne reflètent en rien mes idées ou opinions. Ce récit est le fruits de divers témoignages d’anciens appelés du continent,  de trois officiers, de quelques rapatriés d’Algérie, de harkis et d’anciens soldats du F.L.N. qui ont fui leur pays après le putsch de Boumediene. Ce récit est aussi le fruit de souvenirs de reportages radio, de reportages télévisés et de lectures en cachette d’articles dans le journal paternel. Certains propos et dialogues sont authentiques, d’autres sont la synthèse de divers propos tenus par différentes personnes. Tous les noms ont été changés et toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé serait fortuite.

L’INDÉLÉBILE CICATRICE

 (ELOGE FUNÈBRE ANTE MORTEM D’UN AVENTURIER PAS COMME LES AUTRES)

 Deuxième époque

VERS UNE TERRE INCONNUE

 

Chapitre 7

 DU RIFIFI CHEZ LES TROUFIONS

Préparation d’un commando spécial

                Alors qu’il se préparait à quitter le camp, Xavier repéra trois hommes qui rentraient en douce dans les dortoirs. Il appela trois garçons assez costauds et leur demanda de le suivre :

– Bonjour les gars. Vous m’avez l’air de costauds, vous pratiquez un sport ?

L’un des trois lui répondit avec un accent du sud prononcé :

– On joue au rugby. Nous sommes de Toulouse.

– Ça  me convient tout à fait. Pouvez-vous m’accompagner ? Je vais avoir besoin de vous dans le dortoir en face. Suivez-moi s’il vous plaît j’aimerais voir ce qu’il s’y passe.

12 soldats en treillis

Arrivés devant la porte, il passa un coup d’oeil rapide par une des fenêtres et observa les soldats qui venaient de rentrer. Après quelques minutes ;il passa la tête discrètement par la porte et vit trois soldats à genoux devant une valise. Il chuchota à l’un des trois hommes :

– Toi qui es le plus costaud, tu restes devant la porte et tu barres le chemin. Si l’un d’eux tente de fuir, tu le plaques au sol. Vous deux, vous m’accompagnez et me suivez discrètement.

Requiem pour trois crapules

Ils pénétrèrent doucement dans le grand dortoir pour ne pas être repérés par le trio qui farfouillait dans la valise. Les trois soldats étaient si affairés qu’ils ne les entendirent pas arriver. Alors que Xavier et ses deux hommes s‘approchaient des deux soldats agenouillés, ils constatèrent que le trio avait tenté d’ouvrir les valises avec un canif. Les prenant sur le fait, Xavier les interpella :

– On peut vous aider les gars ?

2 valise d'appelés

Surpris, les trois soldats se redressèrent rapidement et saluèrent Xavier qui leur demanda :

– Dites-moi soldats, que faisiez-vous donc ?

– On cherchait nos affaires dans nos valises.

– Ah oui ? Et toi tu as besoin de tes deux copains pour ouvrir ta valise ? Sinon, vous ouvrez vos propres valises avec un canif ? Vous me prenez pour un imbécile ou quoi ? Allez, debout tous les trois, contre le mur, jambes écartées et mains en l’air ! Exécution ! 

Devant l’ordre agressif de Xavier, les soldats obéirent aussitôt et se plaquèrent contre le mur. Alors qu’ils avaient les bras en l’air, Xavier remarqua un détail et s’adressa à l’un d’eux :

– Toi, avec les trois montres à tes poignets, tu crains tant d’arriver en retard à l’appel que tu possèdes autant  de montres ?

Les trois hommes ne surent que répondre. Xavier leur intima un ordre qui ne souffrait aucune répartie :

– Videz vos poches !  Tout de suite et posez le contenu sur le lit derrière vous.

Les hommes commencèrent à agir comme demandé  et posèrent ce qui en sortait sur la paillasse. Xavier, mécontent de leur peu d’empressement réagit :

– J’ai dit toutes les poches !

Plusieurs autres objets plus petits que les autres déjà sortis tombèrent alors par terre. Xavier repéra des gourmettes et s’adressa à celui qui venait de les faire tomber de sa poche :

– Comment t’appelles-tu ?

– Jean Marc mon lieutenant.

– Alors pourquoi possèdes-tu des gourmettes avec les prénoms de Louis, Fernand et René ? 

Le soldat ne répondit pas comprenant qu’il fallait mieux s’abstenir. Des poches tombèrent aussi sur le sol des médailles, une étoile de David ou des pièces de 5 francs. Furieux, le jeune lieutenant ordonna sèchement :

– Ramassez-moi tout ça et posez-les avec le reste !

4 francs 1960

Devinant qu’il n’était pas au bout de ses surprises, Xavier ordonna sèchement :

– Et maintenant, vous me retournez ces poches illico.

Alors que les soldats agissaient, Xavier et ceux qui l’accompagnaient virent tomber des portefeuilles er des billets de banque. Il commença à compter et hurla :

– Quoi ? 650 nouveaux francs dans une seule poche et vous allez me dire que c’est à vous je suppose ? Bande de petites charognes. Oser violer vos propres camarades d’infortune ! Je vous jure que je ne vais pas rater.

Hors de soi et furieux, le jeune lieutenant ordonna :

– Retirez le haut de votre treillis ! On va vérifier les poches de vos chemises.

Les soldats fautifs agirent mais rien ne fut trouvé dans les poches.

Un des garçons qui accompagnaient Xavier ne put se retenir et lança violemment :

– Espèces de petites ordures ! Bandes de salauds ! Vous avez de la chance que le lieutenant soit là sinon je vous aurais cassé la gueule avec mes potes. Je vous jure qu’après, votre mère ne vous aurait pas reconnus.

Xavier lui demanda de se calmer et lui dit :

– Restez calme. Je vous jure qu’après cette petite inspection surprise, ils vont regretter amèrement leur conduite de voyous sans scrupules.

Regardant, les soldats, il leur ordonna :

– Maintenant, suivrez-moi ! On va décider de votre sort espèces de petites crapules.

S’adressant aux soldats qui l’avaient accompagné, il leur commanda :

– On va conduire ces trois salopards là où il faut. Vous me les encadrez bien et gardez-les bien à l’œil.

Voleurs et corvéables à merci

Après avoir marché cinq minutes, Xavier repéra un sous-officier bien costaud qui lui convint et le héla :

– Adjudant-chef s’il vous plait ?

5 adjudant de la légion

L’homme se retourna et répondit sur le champ :

– Oui mon lieutenant ? Que puis-je faire pour vous ?

Xavier expliqua ce à quoi il venait d’assister et discuta un moment avec le sous-officier :

– Quand embarquons-nous adjudant-chef ?

– D’ici deux ou trois jours mon lieutenant.

– Parfait ! Pour ces trois salopards là, aucun quartier libre jusqu’au jour de l’embarquement. Je vous demande de les mettre à toutes les corvées possibles inimaginables. J’aimerais qu’ils soient surveillés par un sous-officier qui sait mater les hommes comme ceux-ci.

L’adjudant-chef répondit sans hésitation :

– Je crois que j’ai ce qu’il vous faut. Un adjudant-chef de la coloniale qui a combattu à Diên Biên Phu et qui a mâté des Viets.

Xavier réagit alors sur le champ :

– Voilà qui est parfait. J’aimerais qu’on les mette au nettoyage intégral de la cour du camp, qu’ils soient placés d’office aux corvées de nettoyage des dortoirs, des lavabos et des toilettes, qu’on leur fasse nettoyer les couloirs et lorsqu’ils auront fini tout cela, qu’ils soient envoyés pour les corvées de peluches et les corvées de plonge.

6 corvée de soldat

corvée de toilettes

L’adjudant répondit au lieutenant :

– Excellente réaction mon lieutenant. Je pense qu’après ces épreuves ils vont avoir en tête que bien mal acquis ne profite jamais.

– Absolument adjudant. Tenez, j’ai noté sur les valises les noms de ceux qui ont été volés et j’ai des portefeuilles avec des papiers et de l’argent. Dans ce sac, vous trouverez tout ce qu’ils ont dérobé. De plus, il faudrait faire un appel pour que les soldats concernés viennent récupérer leurs objets.

– Je m’en occupe mon lieutenant.

Avant de quitter l’adjudant-chef, Xavier lui demanda :

– Encore une chose adjudant-chef. Il faudrait voir avec un des supérieurs du camp s’il serait possible de faire une annonce pour appeler ceux à qui on a dérobé des objets et de prévenir les autres de prendre avec eux argent, objets précieux et souvenirs personnels.

Puis, regardant les trois voleurs et les pointant chacun du doigt, il leur annonça d’une voix glaciale :

– Quant à vous messieurs, croisez les doigts de ne pas vous retrouver dans mon unité car je vous jure que si c’est le cas, à la moindre incartade, je vous en ferai baver plus qu’à tout autre.

Il se retourna vers l’adjudant-chef et lui demanda :

– Dites-moi, adjudant-chef, savez-vous où je pourrais trouver un plan de Marseille qu’on ne s’y perde pas pas ?

– Bien sûr mon lieutenant. Allez au secrétariat du colonel, ils vous en prêteront une pour vous aider. Bonne visite mon lieutenant.

– Merci adjudant-chef et à vous de même. 

Marseille ! Nous voilà !

Sur ce, s’adressant aux hommes qui l’avaient aidé, Xavier leur demanda :

– Dites les gars, vous restez manger ici ou vous préférez aller manger un plat en ville ? Si ça vous dit, je vous propose de m’accompagner. A condition que ça ne vous gêne pas bien sûr.

Les trois hommes répondirent en chœur :

– On vous accompagne avec plaisir mon lieutenant.

– D’accord ! Je vais chercher un plan de Marseille et je vous rejoins. Quelques minutes plus tard, Xavier revint avec une carte à la main et s’adressa aux soldats :

– C’est parti les gars ! Nous allons découvrir cette ville que nous n’avons vue que de nuit. Pour simplifier nos rapports, au lieu de vous appelez « les gars », je vous appellerai par votre nom. Toi comment te nommes-tu ?

– Guéguen  mon lieutenant et j’arrive de Lannilis un village au nord de Brest.

– Ah un Breton. Et toi ?

– Vandaele  mon lieutenant et je suis de Lens, je suis un chtimi comme les appellent les Parisiens.

– Et toi le troisième du groupe ?

– Metzger mon lieutenant. Je viens de Schiltigheim, une petite ville non loin de Strasbourg. Xavier se présenta à son tour :

– Et moi, c’est Frenon mais il vaut mieux que vous m’appeliez «mon lieutenant» pour éviter que par réflexe par la suite vous ne m’appeliez par mon nom au sein du régiment. Ce serait mal vu.

Les trois hommes comprirent fort bien cette attitude et l’approuvèrent. Xavier reprit a parole :

– Allez ! On y va d’un bon pas car le Vieux Port est à sept kilomètres d’ici et en avançant d’un bon pas, dans trois quart d’heure nous y serons.

Ste-Marthe entrée

Yann Brugenn

© mars 2021  

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Entre souvenirs à gogo, vélo, travelos et mélo vestimentaire. Une jolie rentrée catastrophe !


Entre souvenirs à gogo, vélo, travelos et mélo vestimentaire. Une jolie rentrée catastrophe !

              Les vacances sont passées et ne sont plus qu’un début de souvenirs. Chacun d’entre nous en a profité et nous nous sommes racontés nos petites anecdotes amusantes et parfois fort intéressantes. Bien que pas loin de nous, ces vacances sont passées et nous nous sommes remis au travail car il faut bien gagner de quoi payer nos lourdes et imposantes factures. Derrière nos fenêtres, septembre est encore en pleine effervescence et nous fait regretter d’être devant un ordinateur, cloitrés dans un bureau mais, fatalistes, nous faisons avec.

              Un midi, tandis que nous approchons de la pause repas, ma collègue se lève de son siège comme un diable sortant de sa boite après des années de captivité. Elle se rue sur son portable, ses clés, son petit carnet qui ne la quitte jamais et jette le tout en vrac dans son inséparable grand sac. Elle fonce vers le porte-manteau, enfile son impair tout en marchant et happe au passage le sac qui l’attendait avec impatience, on n’en doute pas. Tout on fonçant vers la porte, elle m’envoie :

– Bon, à tout à l’heure. Vite, vite, faut que je me dépêche sinon je vais rater le tram et j’ai un achat important à faire en centre ville.

A peine a-t-elle fini que la voilà disparue. Quelques minutes plus tard, je la vois par la fenêtre qui fonce vers l’arrêt. Ouf ! Elle saute de justesse dans le tramway et disparaît.

Un achat important ? Si important que cela ? Après le coup du «bébé Momolle», je m’attends à tout de sa part. Un achat important ? Lequel donc ? Un morceau de viande de choix vu chez un boucher pour son gourmet de Bob ? Un sac dernier cri qui lui aurait fait de l’œil dans une vitrine ? Une paire de chaussures bicolores roses et vertes avec talons hauts ? A moins qu’elle n’ait repéré un de ces tops sexy spécial hiver, je ne sais que penser connaissant mon oiseau rare.

               Une heure plus tard, la voilà de retour au bureau ; elle semble furibarde et ça se sent dans le ton qu’elle emploie :

– Non mais tu te rends compte ?

– Non mais je ne vais pas tarder en t’écoutant.

– Je suis descendue en ville aux Galeries Farfouillette pour faire un achat de parfum. Je comptais me rendre au rayon beauté pour acheter du ricil vert.

– Du ricil vert ?  Comme par hasard. Ton ricil choisi aurait pu être bleu clair, brun, violet ou autres mais non, toi tu choisis le vert alors que tu devrais choisir une couleur d’automne.

1 ricil vert

– Mais c’est du vert que je voulais et rien d’autre. Mais je n’ai pas pu l’obtenir parce que, au moment d’entrer dans les Galeries, le rayon «beauté» était fermé.

– Mon Dieu ! Mais c’est l’horreur que tu me décris là ! Oser fermer ce rayon dans ton magasin préféré ! Il n’y a vraiment aucune reconnaissance pour les fidèles comme toi. Tu n’as pas ta carte V.I.P t’offrant le droit à une ouverture spéciale uniquement pour toi ?  

– J’ai bien tenté d’en connaître la raison et me suis adressé à une vendeuse qui m’a répondu : «Madame, le magasin est fermé et nous n’ouvrons qu’à 14 heures !»

– J’ai réagi aussitôt tu me connais et je lui ai annoncé : « Ah non alors ! Je suis en pause méridienne je ne peux pas rester plus longtemps. »

Elle me narre cette mésaventure avec dans le regard des éclats qui ressemblent plus à des éclairs qu’à des étincelles. Cette mésaventure l’a effondrée et la révolte. Ce sentiment, elle tient absolument à me le faire partager : 

– Tu te rends compte ? Je suis allée aux Galeries Farfouillettes, en plein centre ville et ça n’ouvrait qu’à quatorze heures ! Quatorze heures ! Ça m’a coûté le prix d’un ticket de tramway !

– En effet, c’est affreux ma Choupette ! Quelques allers et retours du même acabit et tu seras ruinée et contrainte de dormir sous les ponts ! Ne te tracasse pas, si ça doit arriver j’ai un matelas, un duvet  et un sommier en fer dans mon sous-sol ! Tu n’auras rien à craindre puisque tu seras sous la protection de notre chat.

2 Marionnaud

Je n’ai pas le temps de continuer qu’elle se révolte violemment contre les commerçants :

– Je suis très contrariée parce qu’ensuite je suis allé chez le parfumeur Mariobeau et j’ai trouvé porte close.

– Normal ! Il faut bien que les employés aillent déjeuner. Ils sont comme toi ma poulette, ils se nourrissent pour tenir le coup.

Elle grimpe sur ses grands chevaux, remontée comme un coucou suisse tout neuf :

– Mais pas du tout, tu n’y es pas. Le magasin était fermé pour travaux. Je n’ai pas pu faire mes achats.

– Comme si l’achat de ricil couleur lagon du Pacifique était indispensable à ta vie ! Tu t’en remettras.

– Peut être mais ils auraient pu attendre pour se lancer dans des travaux.

– Mais bien sûr ma Choupette, tous les magasins à ta botte et quand tu le désires ! C’est une idée à lancer  en effet. Il faut tout de même que tu comprennes que ces magasins ne sont pas à ton image même si tu as l’habitude de les fréquenter. Ils ont besoin d’une cure de rajeunissement de temps en temps, eux. Ton tour viendra d’ici une vingtaine d’années. Toi aussi tu voudras peut-être opérer un léger ravalement de façade pour rester sur le marché.

3 lifting visage

Elle ne pipe mot et se renfrogne. Ces magasins fermés l’ont fortement courroucée. Voilà ma Choupette fort contrariée et je la sens capable de faire des infidélités à ces magasins en guise de représailles.

               Quelques jours plus tard, cette chère Célestine m’annonce :

– Oh ! Tu ne devineras jamais la dernière. Dimanche j’ai retrouvé un de mes ex copains de classe

– Un copain de classe tu es sûre ? Juste un copain de classe ? Te connaissant, il devait être plus gradé.

– Non, non, c’était juste un copain de classe.

Intérieurement je pense «de classe uniquement, là, j’ai de sérieux  doutes ». Célestine me sort de ma pensée et continue :

– Il se souvenait très bien de moi et nous avons parlé de nos bons vieux souvenirs communs de jeunesse au collège.

Comme elle a sa langue toujours bien rangée, je la connais, cette chère Célestine n’a pu se retenir de lui annoncer :

– J’ai un de mes collègues qui écrit de temps en temps sur moi. Il a même pris quelques photos de moi. Il a le don de me rendre belle.

– J’imagine déjà la tête de ton copain quand tu lui as raconté ça : l’œil brillant, la langue presque pendante et le regard un brin envieux.

– Non mais voilà ce qu’il a dit de toi : «Ton collègue a beaucoup de chance de te côtoyer au quotidien et fait preuve de beaucoup d’abnégation pour rester sage».

Et voilà ma Choupette qui me raconte ça par le détail avec un petit air amusé, l’œil brillant et coquin. Je ne peux que répondre à ce genre de propos :

– De la chance ? Oui peut-être mais tu pourras dire à ton ancien camarade de classe que la chance il faut savoir la saisir au bond si tu vois ce que je veux dire. Quant à mon abnégation tu préciseras à ton copain que sa source commence à se tarir et que je compte bien passer à la phase deux qui est l’action.

Elle se cambre sur son siège et lâche un « Oooohhh » indigné. Ça y est, la voilà qui nous la joue jeune rosière choquée ! Choquée peut-être mais seulement en apparence, aussi je m’empresse de la réprimander gentiment :

– C’est ça ! Joue les saintes Nitouches ! Nous avons nos petits rituels quotidiens, notre complicité et nos petites habitudes, il faut bien qu’il y ait une suite logique non ?

Elle s’empourpre alors à l’entente d’un des mots et réagit vivement :

– Tu as dit Sainte Nitouche ?

– Oui. Exactement. Tu as fort bien entendu !

– Et bien mon copain se souvient que je lui donnais l’impression d’être une mijaurée quand j’allais réciter mes poèmes au tableau mais que je l’impressionnais. D’ailleurs je me souviens qu’il faisait tomber exprès sa règle ou sa gomme ou un stylo  juste pour les ramasser afin de pouvoir observer mes jambes.

– Et alors ? Sans doute l’anatomie était-elle sa matière préférée et qu’il était un fervent adepte des travaux pratiques. Réfléchis un peu ma Choupette, te rends-tu compte qu’en plus tu avais alors affaire à un fin connaisseur et un esthète ? Finalement ce jeune collégien avait raison et fort bon goût.

4 collégien au collège

– Tu penses que je suis une mijaurée ?

– Nonnn ! Juste un peu pimbêche avec ceux qui t’admirent, juste un peu garce sans plus avec ceux qui te courtisent.

– Tu trouves que je suis pimbêche avec toi ? Est-ce-que tu as l’impression que je t’allume ?

– Mais non ma Choupette ! Pas pimbêche du tout parce que je t’ai mâtée par contre, tu sais fort bien mettre le feu quand il le faut ! Pompière pyromane va !

A ces mots, elle ne sait que répondre et se tait pour se replonger dans ses dossiers.

               Comme la veille, le lendemain midi ma collègue me quitte en coup de vent sans annoncer quoi que ce soit. Je m’interroge sur ce départ si subit :

– Qu’est ce qui t’arrive ? Tu as le feu aux fesses ? Un nouveau magasin de parfumerie ouvre à midi pile ? 

– Non non ! Il faut que j’aille rapidement en centre ville pour un rendez-vous.

Et la voilà qui file au galop sans même se retourner.

A  peine suis-je remonté de mon lieu de mon repas que je trouve Célestine assise à son bureau, une Célestine avec la mine renfrognée. J’en cherche la cause :

– Qu’est ce qu’il t’arrive encore comme catastrophe ? Tu as trouvé de nouveau un magasin de fermé sous tes yeux désespérés ?

– Pas du tout, je devais arriver le plus tôt possible à mon rendez-vous et j’ai été contrainte de faire un créneau pour me garer au plus proche du lieu de rendez-vous.

J’imagine aisément la scène et le lui fais savoir :

– Je comprends, tu as dû te lancer dans une manœuvre périlleuse à la limite de la mission impossible.

– Ce n’est pas drôle ! Dis-toi que tandis que je m’apprêtais à effectuer ce stationnement on ne peut plus délicat, un malotru, un goujat, a osé venir se garer en plein milieu de la place que j’avais repérée.

Seulement voilà, entre les propos de Célestine et la réalité, il existe un gouffre. Disons tout à la décharge du soit disant malotru, que le temps qu’elle repère la place convoitée, qu’elle s’imagine mentalement le croquis de la manœuvre et qu’elle visionne cette manœuvre en 3D, le cher monsieur s’est installé à la place désirée comme le font les coucous.

Je la reprends et demande plus de précisions sur cette histoire de stationnement volé :

– Au fait, la place où tu devais te garer, elle était de quelle longueur.

– Il y avait de la place pour ma voiture, de la place derrière et devant.

– D’accord. Je vois très bien le tableau et j’en déduis qu’il te faut deux places là où d’autres n’ont besoin que d’une. Je comprends cet homme. Et alors ? Tu es allée te garer ailleurs ?

– Non. Le monsieur, finalement fort galant, après avoir rangé son auto s’est proposé de me garer ma voiture.

– Voilà un type bien et en plus, devant ton charme il ne pouvait pas râler. Donc ce monsieur a garé ton cher véhicule je présume.

– Non car j’ai décliné l’invitation.

– Quoi ? Tu as refusé une offre si galante ? Ma chère Célestine, tu ne dois pas te trouver dans un de ces bons jours où tu succombes facilement devant le charme masculin. Mais alors, comment t’y es-tu prise ?

– Je lui ai répondu tout simplement : «Non merci, je préfère que vous vous avanciez un peu. »

– Comment que je t’aurais laissé en plan moi !

– Mon charme a dû agir puisque le conducteur s’est exécuté et que je me suis retrouvée avec deux places et demie pour moi seule.

5 créneau

Je réplique sans lui laisser le temps de souffler :

– Deux places et demie ? Formidable ! Au lieu de faire ton créneau en six fois tu l’as réalisé en quatre fois et tu l’as réussi en dix minutes au lieu de quinze ! Ça relève du miracle !  Le vrai miracle est que, ce jour là, ce conducteur n’ait pas craqué en t’apercevant.

– Pourquoi ? Je suis vêtue sagement.

– Très sagement avec un beau décolleté très accrocheur.

– Pourtant c’est un décolleté d’hiver !

– Sans doute mais comme chez toi une température automnale équivaut à une canicule, tu te vêts en conséquence et ne laisse aucun homme de bois ! Même Pinocchio réagirait ! Pauvre homme, il a dû s’offrir une de ces suées ! Assister à un tel spectacle et se voir refuser le plaisir d’aider une jolie femme, il n’y a pas à dire, ce n’était vraiment pas son jour. 

                  Les jours s‘écoulent par la suite, tranquilles et nous voilà avec de nouveaux dossiers et une nouvelle  enquête à traiter : Résultat, nos chers décideurs nous envoient en formation, ces formations pluriannuelles devenues un rituel et dont nous ne nous servons que peu puisque la réalité n’a rien à voir avec les exemples qui nous ont souvent présentés. S’écoulent des jours calmes aux couleurs d’un été finissant mais que les aléas de la vie et les envies de cette chère Célestine viennent parfois  troubler. Alors que j’étudie de plus près ce nouveau type de logiciel et tente de le comprendre, Célestine me sort de mes pensées brusquement :

– Regarde le livre que j’ai acheté, je vais pouvoir approfondir mes états d’âme.

– Qu’est ce que tu as encore acheté comme ânerie ?

– Ce n’est pas une ânerie, c’est un livre très sérieux.

Elle referme son œuvre digne d’un Prix Nobel de Psychologie et lit le titre :

– Ça s’appelle « Sérénité. Vingt cinq histoires d’équilibre intérieur ».

Je laisse se dessiner sur mon visage un petit sourire moqueur qui en dit long :

– Comme si tu avais besoin d’équilibre ! Tu es quelqu’un de très stable et de bien équilibrée ! D’ailleurs, je le constate chaque jour à ta démarche sensuelle et légèrement chaloupée !

– Mais nonnn ! Je suis sérieuse. D’ailleurs j’ai décidé de me retirer dans un couvent près d’un monastère de moines trappistes.

6 moines trapistes

– Ah oui ! Près d’un monastère tout de même. Je me disais aussi. Toi seule au milieu de nonnes plus silencieuses que des carpes tu n’aurais pas tenu une heure. Heureusement qu’il y aura les moines à côté du couvent car avec eux tu auras des distractions et, à mon avis, eux non plus ne vont pas regretter ton passage.

– Si parce que je tiendrai le coup.

– Je te crois, je te crois. Dès que tu auras choisi ton couvent, donne-moi son adresse que je me fasse embaucher comme confesseur. Je m’empresserai d’être le tien, très particulier, et t’aiderai à passer le temps entre ces murs au milieu des chants liturgiques et des voix des sœurs ânonnant leurs prières ! 

– Toi mon confesseur ?

– Oui ma Choupette et avec mon aide tu te rapprocheras du paradis et tu causeras un peu avec les anges.

Sa réplique ne se fait pas attendre :

– Vantard. Si je te mettais au défi tu serais bien embarrassé.

– Embarrassé moi ? Oh que non ! Quant à savoir si je suis vantard tu jugeras par toi-même dans le couvent.

A peine ai-je terminé qu’elle me reprend :

– Tu n’y comprends rien. Tu vois, cet auteur appelle par exemple un journal intime « le calendrier des marées ». C’est joli non ?

– C’est bien trouvé et si je plagie son style je dirais que tu es pour moi «le calendrier de mes sens» alors, s’il veut prendre ma place durant quelques jours, je la lui prête et je doute qu’après il soit capable d’écrire son fameux bouquin « Sérénité » parce que question équilibre intérieur il sera sacrément bouleversé !

– Tu le penses vraiment ? Il me prendrait pour une allumeuse ?

– Non non, pas du tout mais tu le troublerais tellement qu’ensuite il pourrait écrire un second chef d’œuvre sur le déséquilibre intérieur.

                Passent les heures, passent les jours et, bien que l’été soit moribond, ma jolie consœur vient toujours habillée comme si le soleil continuait son travail estival : Petits corsages légers, charmants décolletés on ne peut plus seyants, délicieux T Shirts moulants qui mettent ses appas en valeur, parfums enivrants qui viennent chatouiller mes narines, bref toute la  panoplie de la femme fatale estivante est de sortie. Comment voulez-vous que je me concentre avec cette bombe sexy en face de moi ? C’est difficile je l’admets mais, bien que n’étant pas de bois, je sais me tenir… du moins, pour l’instant. Le travail avant tout, le plaisir par la suite…peut être       

Il n’empêche que toutes ces lectures sur la psychologie lui permettent de trouver des chemins totalement inconnus du citoyen lambda.

Alors que je reviens de déjeuner, elle m’annonce la bouche en fleur :

– Pendant que tu n’étais pas là, je suis parvenue à connaître ma météo mentale.

–  Sans blague ! Ta météo doit toujours être au beau fixe j’en suis convaincu.

– Pourquoi cette certitude ?

– Parce que tu rayonnes tant et brûles de tant de feux que tu en es toujours chaude pour ne pas dire bouillante. Un de ces jours, à force d’ouvrir en grand ta fenêtre, il va y avoir une rencontre entre une masse d’air froid venue de l’extérieur et toi qui feras office de masse d’air chaud et là, j’aurai droit à un fort bel orage en perspective.

                  Non contente de trouver sa météo mentale, cette chère Célestine se prend pour un grand bâtisseur qui se lance dans une politique des grands travaux. La preuve lorsqu’elle m’annonce par la suite dans un grand sourire : 

– Tu sais quoi, j’ai jeté un pont vers ma vie intérieure !

– Ah oui ?  Non contente d’avoir une vie extérieure extrêmement remplie tu veux réunir celle-ci à ta vie intérieure ? Es-tu certaine que tu vas avoir assez d’une vie pour remplir les deux ? Ma pauvre Célestine, plus le temps passe et plus je sens que tu travailles intensément du bigoudi.

                 Toutes ces lectures lui apportent une certaine satisfaction mais ne lui apprennent pas à relativiser en cas de catastrophe. Quelques jours plus tard, après midi, je la vois rentrer rapidement dans le bureau, fermer la porte sans attendre et ce, avec un air catastrophé. Elle s’installe devant la porte comme pour la bloquer et me lance, l’air horrifié :

– Oh là là ! Tu ne sais pas ce qui m’arrive ?

– Je suppose qu’après t’être fait frotter par un homme un brin vicelard, ce coup ci tu t’es fait draguer par une femme ?

– Non pire. Oh là là ! J’ai craqué mon pantalon du haut jusqu’en bas de la jambe.

8 pantalon déchiré

Elle relève son impair et me montre une partie de l‘ampleur des dégâts. En effet, son pantalon est déchiré sur toute la longueur d’une des jambes, une déchirure qui  laisse apparaître une jambe fort bien galbée et bronzée. Très pudique, ma collègue ne se lance pas jusqu’à relever entièrement son impair mais m’annonce :

– C’est affreux ! Il est déchiré du haut des fesses jusqu’en bas de la jambe.

– Ah bon ? Tu veux lancer une nouvelle mode ? Après les jupes fendues sexy tu inventes le pantalon fendu ? Ça pourrait avoir du succès à condition d’avoir de belles jambes et des petites fesses à la brésilienne. Dépêche-toi de déposer le brevet car avec ça tu peux faire fortune l’été prochain.

Célestine, encore perturbée par cet événement inattendu m’interroge avec anxiété :

– Tu n’as rien vu ? Tu ne t’en es pas aperçu ?

– Aucunement. Quand tu es partie déjeuner tout à l’heure, ton pantalon et toi étiez en parfaite santé.

Elle semble tout de même douter :

– Tu es sûr ? Tu me l’aurais dit si tu avais vu que mon pantalon était déchiré derrière ? Tu me l’aurais dit hein ? Tu m’aurais prévenue ?

– Bien sûr que je t’aurais avertie. Je tiens à être le seul à détenir ce privilège. Si ça avait été le cas, je me serais fait plaisir aux yeux et t’aurais prévenue avant que tu n’offres ton joli petit postérieur aux regards lubriques et concupiscents des autres.

– Mais c’est affreux ! Quand comment est-ce que ça a pu m’arriver ? Je n’ai fait aucun geste brusque et je n’ai entendu aucun craquement.

– Ça ne veut rien dire ma Choupette. Tu es si agitée quand tu fais quelque chose que tu as dû sans doute te baisser, le pantalon s’est déchiré mais, comme tu te trouvais dans le feu de l’action, tu n’as pas entendu le déchirement de ton vêtement martyr.

Elle est accablée par ce qui lui arrive :

– Mais c’est affreux ! Il y a sûrement plein de gens qui ont vu mes fesses ! Oh la honte ! Oh la honte !

– Ma chérie, je vais te rassurer. Vu la façon dont est déchiré ton pantalon, ceux qui t‘ont vue n’ont aperçu qu’une fesse et non tes fesses !  Dommage pour eux d’ailleurs car ils auraient eu droit à deux jolies formes symétriques. Totalement effondrée, ma Célestine répète en  boucle comme un perroquet : 

– Oh la honte ! Oh mon Dieu la honte ! Tu te rends compte, on a vu mes sous-vêtements jaunes soleil !

Un sourire amusé au coin des lèvres, je lui donne mon avis sur le ton de la déception :

– Oh ! Jaune soleil ! C’est joli comme couleur sur des fesses bronzées et dire que j’ai raté ce délicieux spectacle.

Malgré ses lectures sur la sérénité et la paix intérieure, ma Célestine ne parvient pas à se remettre de ses émotions et ne cesse de se tourmenter à propos de cette mésaventure :

– Mon Dieu ! Quelle honte ! Je me demande qui a vu mes fesses.

– Qui a bien pu se rincer l’œil ? Pas moi en tout cas et je le regrette vivement. Une si jolie couleur sur de si belles formes, ça ne se rate pas. Je me sens lésé tout d’un coup, tiens.

Célestine reste obnubilée par ce pantalon qui a osé la trahir, laissant son joli postérieur en proie aux regards libidineux de certaines personnes :

– Et dire que j’ai failli prendre l’ascenseur avec le petit crétin d’à côté. Je l’ai échappé belle.

Soudain elle se redresse violemment et s’affole :

– Oooh ! Je comprends maintenant pourquoi Jean Louis m’a tenu si longtemps la porte et pourquoi il semblait si hébété en me regardant ! Oh là là ! Je suis sûre qu’il a vu ma petite culotte et mes fesses, ça explique son attitude.

– C’est possible et dans ce cas tu as fait sans doute un heureux pour l’après-midi.

– Mais c’est catastrophique ! Tu te rends compte ?

– Bien sûr que je me rends compte mais sois rassurée, il a dû en voir d’autres.

– Peut-être mais tu imagines si j’avais mis un string ?

– J’imagine très bien même et je crois que ça aurait défilé dans le bureau sous les faux prétextes d’obtenir un renseignement.

Elle est horrifiée par ces propos :

– Arrête ! Ils auraient sûrement agi ainsi.

– C’est vrai mais comme je tiens à mon privilège et à mon droit de regard sur fesses, je n’aurais laissé personne rentrer ou j’aurais fait payer le droit d’assister au spectacle.

Encore traumatisée, Célestine ne cesse de psalmodier :

– Oh la honte ! La honte ! On a dû m’hypnotiser c’est sûr.

9 femme honteuse

Elle lâche alors un long soupir qui sent le désespoir :

– Ppppfffff … ! Je suis déshonorée, je suis déshonorée.

Du tac au tac je la reprends :

– Euh… non. Pas encore mais ça je peux m’en charger si tu tiens vraiment à devenir la Célestine de déshonneur.

                Le reste de l’après-midi se déroule dans un calme total, ma chère Célestine n’osant même plus se lever de peur qu’une personne n’admire son auguste postérieur. Au bout d’une heure une phrase lui échappe :

– Oh là là ! Il faut que j’aille aux toilettes. Je ne peux pas y aller avec mon pantalon dans cet état. Tout le monde va me repérer.

Je tente d’apporter une solution à son petit problème :

– Prends ton écharpe et noue la autour de ta taille, ça te protégera des regards indésirables.

– Ah non ! Ils vont tous s’apercevoir que ma jambe de pantalon est déchirée.

– Tu as raison ma Choupette. Ne bouge pas tu pourrais déclencher une émeute avec une horde de courtisans qui t’escorteraient. On pourrait finir par croire que vous dansez la chenille et que tu mènes la danse.

Elle ne sait que dire, laisse un long soupir s’échapper et conclut :

– Tant pis, je vais attendre et j’irai quand je serai rentrée chez moi.

Vers dix sept heures, l’heure de la délivrance a sonné pour ma consœur. Mais avant que cette délivrance ne soit totale il lui faut parvenir au bout d’une promenade initiatique et anxiogène. Et c’est avec son grand châle noué autour de la taille tel un paréo que, le soir, ma Choupette quitte le bureau, les jambes serrées, avançant à petits pas, telle une geisha allant servir du thé à ses hôtes ! A chaque pas, elle ne peut s’empêcher d’observer anxieusement à droite à gauche si quelques regards admiratifs ne seraient pas cachés sur son passage pour profiter une dernière fois de ce spectacle croquignol.

Arrivée au bout du couloir, elle s’engouffre dans l’ascenseur, seule heureusement pour elle, puis se rue vers sa voiture qu’elle intègre à vitesse grand V en surveillant ses arrières. Sauvée ! Personne ne sera témoin de ses malheurs de l’après-midi. 

               Quelques jours plus tard, je la vois plongée dans des dépliants et l’entends parler toute seule tout haut. Visiblement, elle s’intéresse aux promenades à vélo, laisse échapper des mots qui parlent de randonnée et de Paris. Au bout d’un moment, comme ce sont les mêmes mots qui reviennent en boucle, je l’accroche :

-Tu radotes Célestine ! Tu te fais vieille. Fais gaffe, ce sont là les signes avant coureurs d’Alzheimer ! 

Elle réagit vivement et me répond sèchement :

– Mais non ! Ce sont des parcours de découvertes dans Paris.

Et sur ce, là voilà qui me tend un dépliant dans lequel il est question de parcours rouge, bleu, vert ou jaune. Alors que je survole le morceau de papier glacé, ma collègue tente de s’expliquer :

– Pour le week-end prochain je vais proposer à mes copines le parcours vert.

Je l’interromps aussitôt :

– Le parcours vert ? Kekseksa ? Une promenade initiatique à l’écologie ? Une nouvelle idée lumineuse du Maire de Paris ? Tu peux être plus claire, je ne suis pas un fou de Paris moi.

Elle parait surprise que j’ignore ce type d’activité et se lance dans une explication concise :

– Mais non tu n’y es pas ! Le parcours vert c’est le parcours Nature avec un passage par le bois de Boulogne.

Puis elle se replonge dans son dépliant pour prendre rendez-vous. Tandis qu’elle relit le détail de cette petite balade, Célestine montre soudain moins d’emballement :

– Oh ! Mais on passe vraiment par le bois de Boulogne ! Tu te rends compte, je vais me retrouver au milieu des travelos camés et rouler sur des capotes bien pleines.

– Pas grave ça. Tu auras la matière première pour réparer en cas de crevaison.

– Pour réparer si je crève ?

– Exactement, tu te serviras de tes capotes pour faire une rustine. C’est la même matière, du caoutchouc !

Inquiète, elle contacte l’organisateur et s’assure auprès de lui que la traversée du bois de Boulogne fait bien partie du circuit. A son visage qui se décompose plus vite qu’un fruit blet, je devine qu’elle n’échappera pas à une visite rapide de ce lieu plein de surprises colorées et très …diverses.

– Oh là là … J’espère que nous serons bien accompagnées. Il faut que je demande à mes copines si elles sont d’accord pour ce type de trajet.

9 transexuel Boulogne

Et la voilà qui contacte ses petites camarades en leur donnant force détails ! A peine a-t-elle raccroché son combiné que, vachard, je l’interroge :

– Et combien te coûte cette petite plaisanterie ?

– Trente euros au lieu de trente cinq parce que je voulais faire le circuit des vieux monuments.

– Pour ce qui est des vieux monuments, ils t’auront toi. Il n’empêche que c’est une escroquerie.

– Ah bon pourquoi ?

– Faire monter des femmes sur un vélo, les faire pédaler pendant trois heures et les emmener dans des endroits douteux en les faisant payer, je trouve ça honteux ! Faire payer les gens pour qu’ils se fatiguent, il faut oser tout de même.

Le lundi suivant, Célestine est là, présente, en bon état de marche et saine et sauve. Je la salue prenant l’air de l’homme rassuré sur le devenir de sa consœur :

– Tu es en bon état donc tu n’es pas tombée sur un travesti ni sur un transsexuel qui t’a fait des avances poussées. Tu ne devais pas être leur genre.

– Tu rigoles mais j’ai failli me faire très mal !

– C’est ça quand on ne sait pas faire de vélo. On s’abstient ou on prend le tricycle ou la patinette.

– Mais non ! Dans le bois de Boulogne, une branche s’est prise dans mes roues et je suis tombée par terre sur du sable. Affalée sur le sol, j’ai eu une des plus belles peurs de ma vie et j’ai crains qu’un travesti ne profite de la situation. Je surveillais mes arrières je te l’assure.

– Comme quoi tu ne connais pas si bien le Gay Paris. Parce que dans ton cas, ce ne sont pas les arrières, si jolis soient-il, qu’il fallait surveiller.

– Tu rigoles, mais chaque fois que j’ai eu besoin de faire une pause pipi, il me fallait aller dans les sous-bois. J’ai demandé à une de mes copines de m’accompagner et ça a bien fait rire les autres.

– Tu es sûre qu’elles n’étaient pas un peu volontaires ces pauses pipi impromptues ? Te connaissant et te sachant curieuse d’apprendre tout sur tout j’ai comme un doute.

– Si tu savais comme on a rigolé. Chaque fois qu’on croisait un travesti, on les saluait en disant «Bonjour messieurs-dames». Et puis dans le coin de l’Arc de Triomphe, nous avons croisé des « gagneuses» qui arpentaient le trottoir près de l’ambassade du Qatar.

– Normal, elles vont prendre l’argent où il est ! Je constate que tu as beaucoup appris sur les coins chauds de Paris en moins d’une journée, tu as posé un congé formation au moins ? Tu sais que tu as droit à six demi-journées pour parfaire tes connaissances, les améliorer et les mettre en pratique.

Après un bref éclat de rire, Célestine change alors de sujet :

– En plus je ne te dis pas le nombre de fois que je ne passais pas mes vitesses parce que j’avais peur que tout saute. L’accompagnateur m’a très bien conseillée, il était mignon Ludo et je crois même que j’étais sa chouchoute. – Comme par hasard, Bob à la maison, Célestine tente un carton ! Et tu as conclu ?

– Non je n’ai pas eu le temps et puis mes copines étaient là. Par contre, je crois que je l’ai un peu vexé parce que j’en savais presqu’autant que lui sur les monuments.

– Et pour cause, comme je le comprends ! Tu es une vraie garce ! Voilà un homme charmant, qui vous guide, tente de vous instruire et te prend sous son aile protectrice. Un homme qui fait consciencieusement son travail tout en ayant le handicap de devoir guider une femme qui ne sait pas passer ses vitesses et toi, tu le dévalorises aux yeux des autres clients. Si j’avais été à sa place, je t’aurais perdue dans une des allées du Bois de Boulogne.

– Non tu n’aurais pas fait ça, tu tiens trop à moi ! 

– J’avoue que verticalement tu es une affaire mais qu’horizontalement, tu dépasses les limites, à mon avis tu es peut être vraiment hors normes. 

– Oh ! Tu te rends compte de ce que tu me dis ?

– Oui, je te fais un compliment alors ne te plains pas.

– Tu peux m’en faire un autre tiens !  Hier, j’ai pédalé six kilomètres autour de l’hippodrome de Longchamp !

L’air faussement émerveillé je rétorque :

– Six kilomètres ! Vains dieux !  Je me sens petit avec mes cinquante kilomètres du samedi que je faisais voici cinq ans !

– C’est ça moque-toi ! J’avais l’impression de pédaler aussi vite que les chevaux au galop !

– Ah ! Tu vois j’avais raison depuis le début.

– Comment ça tu avais raison ?

– Cela fait des mois que je te dis que tu es une jolie pouliche. Tu viens de m’apporter la preuve que tu étais même une belle pouliche de compétition. Donc, tu allais aussi vite que ces canassons dis-tu ?

– Oui. C’est l’impression que j’ai eue.

– Je n’en doute pas et te conseille de t’inscrire aux prochains Jeux Olympiques.

– Pourquoi ? Parce tu bats certains records ma chérie, un cheval galope entre soixante et soixante dix kilomètres à l’heure ! Dans l’histoire tu as perdu combien de kilos ?

Sa réaction fuse sans attendre :

– Salaud !

– Et voilà ! Je te fais un autre compliment et tu le prends comme une attaque. Tu ne serais pas un brin paranoïaque ? Salaud peut-être mais tu m’aimes comme ça alors pourquoi changer ?

Ah Paris ! Paris sera toujours Paris avec ou sans Célestine ; mais, sans Paris avec ses bons et ses mauvais côtés Célestine ne serait plus Célestine. Sans sa dose de Paris, elle se fane, se meurt, s’étiole ; il s’avère donc indispensable qu’elle reçoive régulièrement à forte dose sa piqure de rappel sinon comment finirais-je par la retrouver ? Elle deviendrait invivable et là, sous l’effet des nerfs qui la lâcheraient, ce n’est plus un pantalon qu’elle déchirerait mais sa garde-robe qui y passerait. Et Célestine sans sa garde-robe de femme distinguée, ce serait le déclin, la descente vers l’enfer de la dépression, une nouvelle crise de « soldite » aiguë même hors période de soldes. Le ciel nous préserve de cette catastrophe surtout moi …

Yann Brugenn

© février 2021

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Pensées obsédantes


ville la nuit 1

Pensées obsédantes

Le jour abandonne lâchement la cité

Sans un regard retourné du soleil,

Les blocs de pierre, de verre et d’acier

Se préparent avec indolence au sommeil.

Point ambulant captif du monde urbain

Enfoui dans l’obscurité qui l’écrase,

Je salis le bitume de mes pas citadins,

Enouant une unique pensée qui m’obsède.

Le froid regard cyclopéen de la nuit

Me protège de l’indiscrétion publique,

Il cloître une masse de voisins évanouis

Dans leurs armures lapidaires et pudiques.

Il dégouline lentement de solitude

Sur leurs carreaux éteints et muets,

Leur cache ma douce et nocturne habitude

De marquer les rues pour me libérer.

Je meurtris mon obsédante pensée

Que je sème sur les trottoirs arides

Dans ma tentative de la distancer

Dans un viol d’asphalte de rues frigides.

Mais l’œil pâle et froid de l’obscurité

Darde ma solitude d’un coup glacial,

Une lente œillade narquoise et figée

Qui grossit le lourd désarroi qui me hâle.

Cet œil ermite inexpressif et mort

Excite l’idée implantée qui me ronge,

Il blanchit d’illusions ternes mon sort,

Se transforme en dicteur de mensonges.

D’un pas aveugle, je suis les veines citadines

Coincées entre les murs aux milliers d’yeux éteints

Que j’ignore, combattant l’image qui me mine,

Désireuse d’imprimer un souvenir sans fin.

Et j’erre prisonnier, le cœur sous hypnose,

Dans l’attente que la nuit qui me voit,

Pitoyable, m’aspire et me décompose,

Jetant l’idée visage dans l’oubli d’autrefois,

J’attends qu’elle tarisse enfin mon présent,

Achève le meurtre d’un envahissant passé,

Qu’elle s’avorte d’un futur inexistant

Pour m’offrir une parcelle d’éternité.

bville la nuit 2

© Yann Brugenn

Février 2021

Droits d'auteur Sceau1

L’INDÉLÉBILE CICATRICE : VERS UNE TERRE INCONNUE. Chapitre 6 :LA RUDESSE DE LA VIE DE CASERNE


AVERTISSEMENT : Ce récit n’est en rien autobiographique. Il ne s’agit pas de souvenirs personnels. Les propos et faits décrits dans cette histoire ne reflètent en rien mes idées ou opinions. Ce récit est le fruits de divers témoignages d’anciens appelés du continent,  de trois officiers, de quelques rapatriés d’Algérie, de harkis et d’anciens soldats du F.L.N. qui ont fui leur pays après le putsch de Boumediene. Ce récit est aussi le fruit de souvenirs de reportages radio, de reportages télévisés et de lectures en cachette d’articles dans le journal paternel. Certains propos et dialogues sont authentiques, d’autres sont la synthèse de divers propos tenus par différentes personnes. Tous les noms ont été changés et toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé serait fortuite.

L’INDÉLÉBILE CICATRICE

(ELOGE FUNÈBRE ANTE MORTEM D’UN AVENTURIER PAS COMME LES AUTRES)

Deuxième époque

 VERS UNE TERRE INCONNUE

 Chapitre 6

 LA RUDESSE DE LA VIE DE CASERNE.

Un réveil matinal et frisquet.

             Le lendemain matin, à cinq heures trente, Xavier fut réveillé par son réveille-matin et un haut-parleur d’où s’échappait une sonnerie brève de clairon qui donna l’ordre du réveil. S’en suivirent des ordres brefs qui s’adressaient à tous :

– Debout tous ! Rassemblement dans une heure dans la cour. Direction les douches, la cantine et tous en tenue avec vos carnets de vaccination.

L’ordre fut répété une seconde fois puis le silence envahit de nouveau le camp. Xavier se leva, les yeux encore bouffis de sommeil et se donna du cœur à l’ouvrage : « Allez ! Debout mon gars. Une bonne toilette et tu seras fin prêt pour attaquer ta journée.» 

Il se dirigea vers un lavabo en faïence blanc avec ses affaires de toilettes. Lorsqu’il eut tourné les robinets, il s’aperçut avec surprise qu’il avait juste de l’eau froide et qu’aucune eau chaude ne coulait d’un des deux robinets. Intérieurement, il pensa : «ça promet.»

Peu habitué à ce régime, le jeune officier fut contraint de faire avec ce confort spartiate. Rapidement,  il se lava à l’eau froide en se frottant énergiquement avec son gant de toilette. Tout en se lavant, il pensa alors : «Maman avait raison, se frotter ainsi réveille, réchauffe et ça fait circuler le sang.»

Une fois bien lavé et séché, il enfila sa tenue, se dirigea vers la glace située au-dessus du lavabo, se rasa et se peigna pour être impeccable devant ses supérieurs et ses hommes.

             Avant de descendre pour aller au mess, Xavier se dirigea vers sa fenêtre et jeta un coup d’œil pour voir ce qu’il se passait dehors. Il aperçut les soldats qui sortaient des baraquements, torse nu, des hommes qui se suivaient plus ou moins en ordre avec leurs affaires de toilette, un savon et une serviette à la main. Tous quittaient les dortoirs pour se rendre vers un autre baraquement dans lequel ils s’engouffraient les uns derrière les autres. Après ce coup d’œil rapide, Xavier prit son carnet de vaccination et se rendit au mess des officiers pour y prendre son petit-déjeuner.

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             Cinq minutes plus tard, le jeune homme rejoignit les autres officiers au mess, salua tout le monde et chercha une place. Un capitaine, devant son air embarrassé lui fit signe et l’interpella :

– Venez ici lieutenant et prenez place.

Dès qu’il fut assis, un soldat l’aborda et lui demanda :

– Café ou chocolat mon lieutenant ?

– Un café s’il vous plait.

Le capitaine lui expliqua ensuite :

– Tout est sur la table. Pain, beurre et confiture. Vous avez le choix. Servez-vous.

Tout en mangeant, il discuta avec l’officier assis à côté de lui :

– Dites-moi mon capitaine, qu’est-ce qui est à l’ordre du jour ?

– Dès que vous aurez mangé, vous rejoindrez les autres hommes pour les vaccinations. Ensuite, comme tous, vous allez faire votre lit et ranger votre chambre et vers 11 heures vous aurez quartier libre. Rassurez-vous, tout cela vous sera rappelé en temps et heure.

– Bien mon capitaine mais j’aimerais en savoir un peu plus sur d’autres sujets qui m’interpellent.

– Demandez toujours, je verrai si je peu vous répondre.

– J’aimerais en avoir plus sur mon affectation et sur les hommes que je commanderai.

– Vous connaitrez votre affectation la veille de votre départ comme les autres. Vous commanderez une section d’une douzaine d’homme ou exceptionnellement un peloton d’une petite trentaine de soldats. Lorsque vous serez arrivé sur le lieu de votre affectation, vous serez formé à lire des cartes pour repérer les endroits à surveiller, on vous donnera des missions de surveillance, de protection ou de maintien de l’ordre.

Le capitaine sentit que le jeune lieutenant paraissait inquiet au fur et à mesure qu’il énumérait ce qu’il aurait à faire. Il tenta de le rassurer :

– Ne vous tracassez pas lieutenant, je serai parmi vous et je m’arrangerai pour que vous vous retrouviez avec quelques hommes de votre régiment de départ. Mais attention, il ne faudra surtout pas qu’il soit question de copinage ou de préférences. De toute façon, vous comprendrez rapidement que vous allez surtout apprendre sur le terrain et selon vos qualités de meneur d’hommes

– Compris mon capitaine. Je tiendrai compte de vos conseils et saurai faire honneur à mon uniforme et à mes galons.

              Une fois terminé de manger, Xavier remonta dans sa chambre, ouvrit la fenêtre pour l‘aérer, la rangea, fit son lit au carré puis, lorsque tout fut mis ordre, il referma la fenêtre et descendit rejoindre les autres soldats.

Une toilette revigorante.

            Cinq minutes plus tard, il se retrouva dans la cour et discuta avec quelques hommes :

– Alors les gars bien dormi ?

– Si on veut mon lieutenant. Nos matelas étaient envahis par des puces, à croire qu’ici, ils en font un élevage !

9 dortoir camp sainte Marthe

Un autre soldat prit la parole :

– S’il n’y avait que les puces ! J’ai tué une dizaine de cafards et en plus, ces chambrées sont le royaume de la crasse.

Un troisième surprit encore plus Xavier :

– Cette nuit, j‘ai été réveillé par des petits bruits étranges. J’ai allumé ma lampe de poche et j’ai aperçu des rats qui se baladaient entre les paillasses. Avec des copains, on a passé au moins une bonne demi-heure à tuer ces rats à coups de rangers.

Ahuri par ce qu’il venait d’entendre, Xavier se montra compatissant :

– En effet, ce ne fut pas une nuit de tout repos mais je  ne saurai vous dire si quelque chose est fait pour vous en débarrasser. Ce manque d’entretien s’explique sans doute par le fait que ce camp n’est qu’un camp de transit donc je doute qu’ils ne perdent pas de temps à le nettoyer à fond. Je ne peux que vous souhaiter que la prochaine nuit soit meilleure. Et sinon, votre toilette matinale ?

Deux soldats lui demandèrent alors :

– Suivez-nous mon lieutenant et vous allez voir où on nous emmenés pour qu’on se lave.

Il fut entrainé dans l’immense bâtiment qu’il avait vu de sa fenêtre et pénétra avec quelques hommes à l’intérieur.

Tout au long d’un bâtiment d’une cinquantaine de mètres, sur quatre rangées, s’étalaient des longs lavabos en céramique blanche surmontés chacun d’un tuyau et de robinets.

3 lavabos

Le long des murs, côte à cote, se trouvaient des douches avec une pomme et un robinet. Les lavabos lui rappelèrent ses années en pension quelques mois auparavant.

Un soldat raconta ensuite à Xavier :

– Vous voyez mon lieutenant, c’est ici que nous nous lavons et je vous jure que c’est bien difficile se laver à l’eau froide. On ressort de là glacé et en plus, il nous a fallu traverser la cour dans le froid pour aller nous habiller.

Xavier donna son avis sans vraiment prendre parti :

– En effet, ce ne doit pas être agréable mais rassurez-vous, il en a été de même pour moi dans ma chambre.

Un sergent qui se trouvait là les interrompit dans leur discussion :

– Vous trouvez que c’est froid et difficile de vous laver dans ces conditions ? Quand vous serez là-bas et lorsque vous aurez passé plusieurs jours dans le djebel lors de missions, vous serez bien contents de trouver la première douche froide qui se trouvera à portée de main pour vous débarrasser de la poussière et du sable qui vous colleront à la peau et se seront incrustés dans les moindres recoins de votre corps.

Au moment où ils ressortaient, le sergent s’adressa à Xavier :

– Vous avez bien fermé votre chambre mon lieutenant ?

– Oui mais je ne pas de clé. Pourquoi cette question sergent ?

– Parce qu’il y a de la chourave dans les dortoirs et les chambres.

Xavier parut surpris par la remarque du sergent et demanda :

– De la chourave ?

– Oui mon lieutenant, certains soldats barbotent en douce.

– Ils barbotent ? C’est-à-dire ?

– Il y a des vols mon lieutenant. Il se trouve que parfois des enfants de salauds terminent de manger avant les autres ou profitent des moments de quartiers libres pour aller voler leurs compagnons de chambrée.

Xavier fut révolté par l’attitude de ceux qui agissaient de la sorte et se renseigna un peu plus :

– Mais ce sont de vrais salopards. Et vous parvenez à en attraper sur le fait ?

– C’est rare mais ça arrive. Je tenais juste à vous prévenir pour que teniez certains hommes au courant.

– Je vous remercie sergent. C’est fort aimable à vous.

Les nudistes involontaires et l’adjudant.

                 Alors qu’ils discutaient, le haut-parleur se mit en branle et les appela à se rassembler tous au dehors : « Rassemblement général dans cinq minutes dans la cour ».

Peu de temps après, tous les soldats et officiers furent réunis et obéirent aux ordres du haut-parleur qui débita ses phrases et ordres :

– En rang tous ! Le long des lignes blanches ! Rassemblez-vous par régiment et sur deux rangées.

Les hommes obtempérèrent et continuèrent d’être à l’écoute ; un quart d’heure plus tard, tous se retrouvèrent alignés dans la cour devant deux adjudants.

4 soldats en rangs

Un des adjudants, son porte-voix devant la bouche leur cria :           

– Ceux qui sont venus avec leur valise et leurs vêtements civils vont se rendre à l’intendance et donner vos vêtements aux sergents-fourriers. Vous n’en n’aurez plus besoin à partir d’aujourd’hui. Transmettez votre adresse aux sergents, l’armée se chargera d’envoyer vos vêtements dans un sac à paquetage en papier épais avec votre nom. Ils seront envoyés à l’adresse que vous aurez donnée. Vous avez un quart d’heure ! Filez ! Ensuite, vous revenez dans la cour et n’oubliez pas votre carnet de vaccination.

Une cinquantaine d’hommes sortit rapidement du rang et se rendit à l’endroit indiqué.

               Un quart d’heure plus tard les hommes furent de retour et réintégrèrent les rangs. Alors que tous étaient alignés dans la position «Au repos», deux adjudants se dressèrent devant eux et annoncèrent :

– Vous allez tous passer devant les médecins pour la vaccination. Déshabillez-vous tous et posez vos tenues à vos pieds.

Après un moment de flottement dans les rangs, les hommes se déshabillèrent, grelottant au fur et à mesure qu‘ils ôtaient leurs vêtements. Après dix minutes, il n’y avait dans la cour que des jeunes soldats, transis de froid dans la tenue la plus simple qui soit.  

Passant devant l’ensemble des soldats, un des sous-officiers cria :

– J’en vois certains qui sont encore vêtus ! Vous n’avez pas pigé ? Retirez vos bénouzes ! A poil !

Après cette remarque vive et virile, les deux adjudants passèrent entre les rangs d’un pas lourd et rapide. Par instants, ils s’arrêtaient. L’un d’eux repéra des hommes qui portaient encore leurs sous vêtements.

– Vous là ! Vous êtes sourds ou vous êtes cons ? J’ai dit à poil ! Retirez vos calbars ! Tout de suite !

Les hommes, devant ces ordres secs, obtempérèrent et se retrouvèrent comme les autres, tous nus dans le matin froid.  Xavier regarda autour de lui et ne put se dire combien d’hommes se trouvaient dans cette cour à attendre pour se faire vacciner.

             Bien rangés et grelottant dans le froid de ce matin de fin de mois de novembre, les jeunes soldats patientaient, leur carnet de vaccination à la main. Certains d’entre eux ne l’avaient pas avec eux.

Un des adjudants qui passait entre les rangées réagit d’un devant des jeunes appelés plus pudiques et plus timides que les autres. Ce soldat, plutôt prude, avait les mains croisées devant son sexe. L’adjudants le regarda et lui demanda :

– Pourquoi donc cacher ta queue et tes joyeuses ? Tous tes potes ont le même attirail et savent ce que c’est. Alors retire tes mains.  

Le soldat, tête basse, obtempéra. Plus loin, un autre jeune appelé serrait son sexe entre ses cuisses et tenait ses mains devant. Le second adjudant l’interrogea :

– Pourquoi mettre tes mains ainsi ? Ce n’est pas la peine de retenir ta quéquette et tes bijoux de famille, ils ne déserterons pas et ne s’envoleront pas. Ils sont trop attachés à toi. 

Tout au long de ce spectacle, des rires fusèrent. Un des adjudants tourna vers l’un d’eux, le toisa, fixa son bas ventre et lui lança une remarque sèche :

– Ça te fait rire ? Tu t’es vu avec ton vermicelle et tes deux petits pois ?

5 soldats nus

Le silence se fit dans les rangs mais le sous-officier entendit l’un des soldats chuchoter :

– Et bé ! Pas commode je juteux. 

L’ayant repéré, l’adjudant vint vers lui et lui lança :

– Ici on dit mon adjudant et non le juteux ! Compris ? Alors tu fais le mariole parce que tu te crois bien fourni ? Erreur mon gars, dis-toi que j’en ai vu d’autres aux côtés desquels ton deux-pièces-cuisine fait office de dinette ! Dis-toi que tu trouveras toujours mieux membré que toi.

 Un lourd silence retomba dans les rangs. Les soldats comprirent que ces adjudants n’appréciaient pas les gens qui se moquaient de leurs camarades.

Le soldat réalisa qu’il valait mieux pour lui de ne pas réagir. Devant ce jeune homme qui avait cru bon de se moquer de ses copains, l’adjudant le regarda attentivement des pieds à la tête et, s’arrêtant à hauteur de la tête, il émit un petit sourire ironique et demanda au jeune :

– Tu es allé chez le coiffeur ?

– Oui.

Le sous-officier lui hurla dans les oreilles :

– Oui qui ?

– Oui mon adjudant.

– Tu en es certain soldat ?

– Oui mon adjudant, certain.

Le sous-officier leva une main, la passa dans la chevelure du soldat et tira légèrement sur une mèche pour ajouter alors :

– Qu’est ce que ce que c’est que ces mèches qui tombent sur les oreilles ? Tu appelles ça une coupe ? Moi pas. Qu’est ce que c’est que cette coiffure de tantouze ? Ici mon gars, on veut des mecs pas des tarlouzes. Tu vas suivre un sergent et retourner te faire couper les cheveux.

L’adjudant leva un bras et interpela un autre sous-officier :

– Sergent !

Un sous-officier se mit au garde-à-vous et répondit :

– Oui mon adjudant ?

– Vous m’emmenez cette jolie poupée chez le coiffeur pour qu’on lui fasse une belle coupe à la mode.

– Compris mon adjudant.

Puis, se tournant vers le soldat, il lui ordonna :

– Quitte les rangs et suis ton supérieur tout de suite.

Le jeune homme sortit de sa rangée et emboita le pas au sergent qui lui montra le chemin où il allait subir ce qu’il penser éviter. Une fois à l’intérieur, un homme le fit s’asseoir tandis que le sergent lui ordonnait :

– Vous me faites à ce soldat une belle coupe réglementaire.

Le soldat s’empara d’une tondeuse électrique et commença à effectuer un grand mouvement circulaire sur la tête de l’autre soldat. La tondeuse remonta directement sur son crâne en passant sur le coté de l’oreille droite et redescendit sur l’autre l’oreille. Quelques minutes plus tard, le soldat ressortit avec  un minimum de cheveux sur la tête. Tout en rejoignant les rangs, il pensa : « Putain ! Il m’a fait une boule à zéro ! »

7 coupe de cheveux soldats

Dès qu’il eut réintégré sa rangée, l’adjudant lui lança narquoisement :

– Et bien voilà soldat  Maintenant tu as l’air d’un homme, pas d’une fiotte. Tu vas voir, tu vas plaire aux filles encore plus qu’avant.

Dans les rangs, connaissant le manque d’humour de ce supérieur, les autres se retenaient pour ne pas rire. Certains serraient les dents, d’autres se pinçaient les lèvres tandis que quelques-uns laissaient juste échapper un léger sourire discret.

Une fois, le jeune tondu dans sa rangée, un des deux adjudants annonça :

– Rentrez dans ce bâtiment derrière vous par deux rangées pour aller vous faire vacciner ! Et on se magne ! 

Piquouses et badigeons

              Sur deux rangées, ils pénétrèrent dans le bâtiment où les attendaient des médecins major aidés par quelques infirmiers et des soldats réquisitionnés à cet effet.  Les uns après les autres, ils défilaient devant le médecin. Quand vint le tour de Xavier, le médecin lui demanda :

– Vous avez votre carnet de vaccination lieutenant ?

– Le voilà major. Il est à jour.

Le major le parcourut rapidement et annonça :

– Tout d’abord vous allez uriner dans ce petit bocal.

Xavier, comme les autres garçons qui se trouvaient dans la pièce, s’exécuta. Alors qu’il s’apprêtait à suivre la rangée, le major le retint et lui précisa :

– Ce n’est pas fini lieutenant.

Le médecin l’ausculta puis lui fit subir une palpation des testicules. Le jeune officier ne chercha pas à savoir pourquoi toutes ces «manipulations» avant d’être vacciné et réitéra sa question :

– Mon carnet de vaccinations est à jour, pourquoi dois-je encore être piqué ?

Pour toute réponse, le major le questionna :

– Vous êtes vaccinés contre  le paludisme et contre la fièvre jaune ?

– Non. Pourquoi ces vaccins major ?

– Parce que ce sont ceux prévus par l’administration militaire contre les maladies tropicales. Allez, tournez-vous que je vous pique.

8 vaccination

Le médecin piqua rapidement Xavier puis, un des soldats réquisitionnés lui badigeonna les fesses à la teinture d‘iode comme preuve de son passage. Une fois vacciné, le médecin lui intima l’ordre suivant :

– Rhabillez-vous et allez au fond, face  au bureau. Là-bas, un des infirmiers assis tamponnera votre carnet et vous quitterez l’infirmerie.

Xavier alla se mettre en règle avec le service médical et sortit de la grande infirmerie. Au fur et à mesure que les hommes ressortaient de l’infirmerie, ils se retrouvaient en petits groupes à discuter entre eux ou à fumer  une cigarette dans un coin dans l’attente d’autres ordres qui n’allaient sûrement pas tarder à tomber brutalement.

              Alors que Xavier ressortait, un adjudant, l’interpella en le saluant :

– Bonjour mon lieutenant ! Alors ce voyage, vous vous en êtes remis ? Pas trop fatigué ?

Xavier reconnut le sous-officier avec qui il avait discuté dans le train. Il le salua et lui répondit :

– Ça va, adjudant. Requinqué.

– Mon lieutenant si vous avez des soldats que vous connaissez un peu ici, je vais vous donnez un conseil pour eux.

– Faites adjudant. De quoi s’agit-il ?

– Vous voyez ces quatre hommes qui repeignent les bandes blanches sous le regard du sergent qui les surveille de près ?

– Oui je les vois fort bien. Pourtant, ces bandes étaient nettes hier soir.

– En effet mon lieutenant mais regardez bien comment ça se passe.

Xavier constata que le sous-officier demandait aux hommes de recommencer si les bandes ne lui semblaient pas droites. L’adjudant prit la parole :

– Ils ont eu droit aux traditionnelles corvées et pour ne rien rater, ils doivent obéir à un sergent de la légion ! Alors si vous connaissez un peu certains des hommes qui sont présents ici, dites-leur qu’il ne faut pas qu’ils aillent moisir dans ce secteur sinon des corvées pourraient leur être distribuées. Expliquez-leur qu’il leur faut marcher de long en large en faisant mine d’être occupés et, de cette façon, ils éviteront les corvées qui pourraient leur tomber dessus sans sommations.

corvée se soldats

– Merci adjudant. C’est sympathique de votre part de me faire part de cela.

– De rien mon lieutenant. Ils vont en chier assez quand ils seront là-bas, ce n’est pas la peine de leur en rajouter. Xavier marqua un court temps de silence puis ajouta :

– Dites-moi adjudant, vous avez déjà visité Marseille ?

– Oui. A deux reprises lors de permissions qui ne me laissaient pas le temps de rejoindre ma famille à Nancy. Pourquoi cette question mon lieutenant ?

– Parce que durant les deux jours qui nous restent, j’aimerais bien visiter cette ville. Savez-vous où je pourrais trouver un petit fascicule qui m’indique quels endroits intéressants sont à visiter ou voir ?

– Rien de plus facile mon lieutenant, j’en possède un dans mon sac. Je vais vous le prêter si ça  peut vous aider. Je vais vous le chercher. Attendez cinq minutes.

– Merci adjudant, c’est vraiment sympathique de votre part.

Le sous-officier quitta Xavier et revint quelques instants plus tard, le précieux petit document à la main.

– Tenez mon lieutenant, vous trouverez tout ce qu’il y a à voir dans Marseille là-dedans. Vous me le rendrez avant de partir ou vous le déposerez au soldat d’intendance qui surveille l’entrée de l’hôtel des cadres.

Le jeune officier se confondit en remerciements :

– Merci beaucoup adjudant. Ça va vraiment m’aider dans la découverte des meilleurs lieux de cette ville.

– Il n’y a pas de quoi mon lieutenant. Allez ! Partez et profitez bien de ce quartier libre.

Alors qu’il s’apprêtait à s’en aller, Xavier entendit l’adjudant le rappeler. Il se retourna et dit :

– Oui adjudant ?

– Puisque vous allez en ville, si vous voulez écrire à vos parents, envoyez leur une carte postale et écrivez-leur sans rentrer dans les détails pour les rassurer. Ramenez vos cartes ici. On les affranchira en franchise militaire.

– Compris adjudant. Merci pour le conseil.   

                L’adjudant quitta Xavier qui rangea le document dans une de ses poches et alluma une cigarette 

Deux heures après avoir patienté, il entendit le haut-parleur qui leur déversa quelques ordres comme la veille et le matin même : «Tous en rangs par deux !»

Une fois les soldats alignés, le même adjudant que celui qui les avait commandés le matin, s’empressa de répéter d’autres ordres de sa voix puissante :

– Dès que vous romprez les rangs, vous aurez quartier libre. Si vous voulez manger ici vous le pouvez au mess sinon vous allez le faire en ville. Vous avez quartier libre jusqu’à 23 heures ! Ceux qui arriveront en retard à l’appel seront de corvée demain ! Rompez les rangs !

Yann Brugenn

© janvier 2021  

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Préparatifs d’une croisière … nostalgique.


Préparatifs d’une croisière … nostalgique.

            Nous voilà en fin de printemps et nous sentons que l’été approche. Les vacances ne sont pas encore là pour moi, il me faut encore patienter quelques semaines. Ce matin, je pars au travail, sachant pertinemment que je vais retrouver ma délicieuse collègue qui, à la pause, va me parler de son dernier achat ou me le montrer, m’annoncer sa prochaine virée à Paris dont elle est amoureuse ou de ses « catastrophes » dont elle a le secret qui lui est encore tombée dessus. Le train-train quoi car, chez elle, plus rien ne me surprend ou presque. J’arrive dans mon bureau et la trouve très affaire, en plein travail, en train de compulser attentivement ses dossiers. Je m’installe et en fait autant.

Pendant quelques semaines de ce printemps et de ce début d’été, les jours s’écoulent au rythme de nos dossiers mais cela se fait dans une ambiance quelque peu morose. Et pour cause : voici près de deux mois que nous devrions avoir du soleil mais nous faisons face à un inconvénient : le printemps semble bien décidé à jouer à cache-cache avec nous. En guise de soleil, nous avons droit aux nuages, au vent et à la pluie qui semble avoir pris ses quartiers d’été par chez nous.

1 nuages et pluie

           Régulièrement ma consœur scrute le ciel avec un regard presque angoissé et laisse échapper comme une lamentation :

– Ce n’est pas cet après-midi que je vais prendre une demi-journée de congés pour aller bronzer.

Surpris par cette remarque venant d’elle, je réagis :

– Du soleil ? Tu te plains du manque de soleil ? Tu te rends compte que s’il débarque, tu vas subir ce que tu appelles si injustement une canicule ! Tu vas souffrir horriblement ma petite chérie.

Elle ne se démonte pas et argumente :

– Je ne demande pas de la chaleur mais juste du soleil pour faire ma provision de vitamine D.

– Ah je comprends. Si c’est pour faire tes provisions voilà qui est différent. Te sachant acheteuse compulsive, tu ne peux pas te retenir de t’allonger devant un soleil brillant. Patience ma chère, les vacances approchent et tu trouver la possibilité de t’évader vers le sud en quête de ces précieux rayons pourvoyeurs de vitamines, rayons qui devront être fortement pourvus devant l’acheteuse déchaînée que tu es.

Elle semble ne pas comprendre et m’interroge :

– Pourquoi des rayons très pourvus ?

– Parce que connaissant tes réactions dans les rayons de magasins, je devine que vas te jeter sur toutes sortes de rayons pour faire ton choix en matière d’UV. Au fait, tu les prends quand ces vacances ? Les rayons solaires seront peut être en début de solde  qui sait ?

 Elle se redresse, quitte son PC des yeux et me lance sur le ton du désespoir :

– Ooooh ! Ce n’est pas pour demain. Il va me falloir encore patienter un bon bout de temps.

Surpris par cette réponse, je tente d’en apprendre un peu plus :

– Patienter ? Au mieux tu nous abandonnes en août et tu n’as que quatre semaines à attendre.

C’est alors que la réponse fatidique tombe et que la lumière se fait sur ses explications nébuleuses :

– Mais nonnn ! Je ne prends pas mes vacances en août. Bob et moi nous les prenons en octobre.

Interloqué par ce choix inhabituel, je la fixe comme si elle était une œuvre d’art contemporain nouvellement exhibée :

– Tu prends tes vacances en octobre ? Tu choisis l’époque où il fait moins beau et quand les jours raccourcissent ? Voilà un choix plutôt étrange ! 

L’air légèrement courroucé, ma jolie collègue se redresse vivement et réagit :

– Mais ce n’est pas mon choix ! C’est parce que Bob a eu l’excellente idée de partir en croisière en cette période parce que c’est moins cher.

2 billet pour croisière

Je ricane malicieusement et lui donne mon avis :

– Aaaah ! Je vois, je vois ! Tu as accepté pour revivre les moments fous et joyeux de ce feuilleton des années soixante dix et tenter d’en réécrire quelques pages de scenarii.

– Le feuilleton ? Quel feuilleton ?

– Devine ! Tu pars en croisière pour t’amuser et tu vas sûrement tenter de séduire le barman qui te servira des rafraichissements colorés. Croisière amusante non ?

Cela ne la fait pas rire du tout :

– Aucunement. J’ai horreur du bateau et j’ai peur qu’à bord qu’il ne nous arrive quelque chose comme une tempête. J’y vais uniquement pour suivre Bob !

Faussement admiratif, je le félicite pour son comportement :

– Comme c’est beau ! Comme c’est désintéressé comme attitude ! J’ai face à moi une femme fidèle et très soumise à son seigneur et maitre, une épouse modèle qui va suivre son Bobby de mari alors qu’elle a horreur des croisières. Quelle grande preuve d’amour ! Quel grand esprit de sacrifice ! Et où la femme accompagnatrice sans collier va-t-elle voguer ?

Elle me sort alors un dépliant et me montre le trajet qu’ils vont parcourir. Surprise ! La traversée a lieu en Méditerranée.

3 navire de croisière

Je ne manque donc pas l’occasion de le lui faire remarquer :

– Tu te rends compte de ce que tu fais pour ton homme ? Dix jours en Méditerranée, dix jours à subir les méfaits de la houle et du roulis sous le soleil et la chaleur. Tu ne vas pas survivre à ce calvaire ma Choupette. J’ai comme dans l’idée que ton Bobby tente de se débarrasser de toi.

– Ah mais on ne se débarrasse pas de moi comme ça ! De toutes façons, il y aura de nombreuses haltes et je vais en profiter. Gènes, Malaga, Lisbonne, le Maroc et Barcelone avec retour en Italie. A chaque escale, je vais trouver de quoi compenser ma peur de la mer.

4 halte au port de Malaga

– Ça, je n’en doute pas ma chérie ! Comme par hasard le navire fait escale au Maroc c’est bien ça ?

– Exactement. A Casablanca plus précisément.

Un sourire moqueur à la commissure des lèvres, je me penche vers elle et lui fais remarquer :

– Finalement, cette acceptation de suivre ton homme, elle n’est pas si désintéressée que ça ! Il me semble que tu as sans doute choisi de faire cette croisière plus par nostalgie que par goût.

Elle paraît étonnée par mes propos.

– Comment ça par nostalgie ? Nostalgie de quoi ?

– J’ai comme la nette impression que tu vas renouer avec tes anciennes amours maritimes, partir à la chasse aux matelots et pourquoi, pas chasser plus haut ! 

– C’est du passé ça ! Je suis une femme mariée maintenant.

– Peut être mais le naturel revient si vite parfois. Et puis cette ambiance de vacances, le farniente, la disponibilité de certains membres d’équipage, ton mari qui te délaissera pour ses boules, voilà qui pourrait te donner envie de faire revivre de grandes heures.

– Ah non alors ! Pas question que je me retrouve dans la salle des machines, c’est bien fini ce temps là.

– Justement ma Choupette ! Qui te parle de te rouler dans le stupre et le cambouis ? Ça c’était bon quand tu étais payée une misère et que, jeunette, tu te contentais de peu. Depuis, comme ton niveau de vie a fortement grimpé, adieu les ébats dans la salle des machines si luxueuse puisse-t-elle être ! Adieu les folles déclarations étouffées par le grondement des machines ! Tu vas pouvoir faire honneur au navire et dire bonjour aux folies dans une cabine grand standing !                 

– Quoi ? Tu me pousserais à l’infidélité ?

– Oh ce n’est pas ça qui t’arrêterait ! Tandis que ton Bobby s’adonnerait passionnément à la pétanque sur le pont supérieur du paquebot grand luxe, tu irais te distraire passionnément d’une autre façon.

Elle rit en m’écoutant :

– Mais nous serons en cabine alors où irais-je ?

– Où ? Je viens de te le dire. Ne sois donc pas inquiète pour les lieux de tes futurs moments de plaisirs débridés. Les marins du bord et les officiers possèdent des cabines spacieuses.

5 cabine officier de marine

Elle s’exclame pouffant de rire :

– Tu me pousses vraiment à être infidèle !

– Admettons mais je n’ai pas un grand effort à fournir pour y parvenir. Un petit adultère par ci n’a jamais tué quiconque s’il reste secret. Et puis, je te rappelle que tu étais presque mariée que tu profitais abondamment des joies et des plaisirs de la vie en duo illégitime loin de l’heureux promis ! 

Penaude, elle le reconnaît :

– Ah oui c’est vrai ça !

J’enfonce alors un peu plus le clou :

– Reconnais que tu as accepté cette croisière pour ses matelots et les souvenirs que cela pourraient évoquer en toi. Si une tempête se déclenche, tu vas te faire offrir gratuitement la totale pour soigner ton angoisse et ton anxiété mais ce coup ci ce ne sera plus à fond de cale au même rythme que les machines qui couvriront vos folles envolées.

Sourire aux lèvres, elle écoute mes propos sans pour autant nier ce que je n’énumère.

– Que veux-tu ma Choupette, ton ascension sociale a réussi, ton train de vie est devenu presque fastueux et ce genre d’endroit n’est plus digne de tes futurs ébats. Tu t’es trop habituée au luxe et durant cette croisière, tu vas vouloir t’éclater dans un tout autre confort. Tu vas ressentir le besoin de découvrir le nirvana dans un navire nettement plus spacieux qu’un vulgaire ferry-boat en compagnie d’amants plus gradés et nettement expérimentés pour ce qui est des acrobaties par gros temps en pleine mer.

Elle rit de mes propos :

– Pas de doute, tu m’incites à devenir une femme adultère.

– Aucunement mais avoue que je n’ai pas beaucoup d’efforts à fournir pour y parvenir. Je devine comment va agir la femme que je connais. Un conseil : choisis bien ta compagnie car si tu optes pour Colza Croisières, tu pourrais courir le risque de sentir le navire se coucher au bout de deux ou trois jours. Encore que toi, vu ta position du moment, cela ne te gênera pas beaucoup.

– Oh ! Tu n’as pas honte de me dire ça ?

– Honte ? Nonnn ! les navires de Colza Croisières sont habituées aux catastrophes et la dernière fois que tu as embarqué sur un navire, tu as eu droit à une superbe tempête qui t‘a porté bonheur. Alors avec Colza Croisières et toi à son bord, je m’attends au pire. Mais ne t’inquiète pas, tu seras entre de bonnes mains qui sauront te secourir et t’apprendre à nager quand le navire sera rempli d’eau.

9 navire couché dans la mer

Sa bouche reste ouverte comme celle d’une carpe privée de sa rivière, son nez frétille et ses yeux deviennent plus grands que des yeux de rapaces nocturnes.

– Yann ! Tu es immonde de me souhaiter du mal comme cela.

– Tu as mal écouté ma Choupette.  Bien au contraire je ne te veux que du bien, beaucoup de bien et tout ce qui va avec.

Quelques jours plus tard, voilà ma charmante consoeur qui décide de faire du ménage autour d’elle. Durant un après midi, je suis témoin éberlué de son surmenage pour du ménage : la voilà qui écarte les vieux dossiers, fait des classements verticaux rapides, archive comme une pro. Elle nous fait sa crise annuelle et je l’entends qui me précise :

– Je fais cela chaque année et ça va me prendre deux jours.

Durant son rangement, elle veut me montrer une boite en fer blanc qui doit dater de ses débuts dans la vie professionnelle. Elle la lève mais elle est si surexcitée que la boite lui échappe des mains. Célestine gesticule et se tortille dans tous les sens pour tenter de la rattraper mais trop tard : la boite tombe à terre dans un fracas métallique assourdissant. Ma pauvre collègue est désespérée : pensez donc ! Ses chers trombones, ses punaises si attachantes et autres petites babioles sont parsemés sur le sol ; elle s’agenouille, commence à les ramasser une à une et ronchonne :

– Tu pourrais au moins venir me donner un coup de main !

– Pardon ? Tu casses tout et il faudrait que je vienne t’aider à réparer. Et puis quoi encore ?

femme ranger-enfin

Je la regarde donc faire, amusé. Soit je la laisse continuer ainsi et alors sa moisson ne sera terminée que ce soir, soit j’interviens pour ne pas prendre le risque de marcher sur le résultat de ses semailles involontaires et hors saison. Pris de pitié pour cette malheureuse en détresse qui a été oubliée par l’esprit d’efficacité, je me lève, m’empare d’une feuille de papier et lui annonce :

– Laisse faire ceux qui ont un côté pratique.

D’un revers du bras, je balaye à deux ou trois reprises le sol avec ma feuille et rassemble les punaises en un petit tas. Dans le ramassage express, l’une d’entre elle a osé aller plus loin que prévu et la voilà arrivée aux pieds de ma collègue qui râle : 

– Oh ! Fais attention ! Tu m’envoies toutes les punaises sous les pieds.

Je me redresse et la houspille :

– Ça c’est la meilleure. Tu es complètement paumée, tu appelles au secours et tu trouves le moyen d’engueuler ceux qui te secourent. Tout d’abord ce ne sont pas des punaises que j’ai envoyées vers toi mais une punaise qui traine devant ton pauvre petit pied apeuré. Et secundo, encore une remarque et tu te débrouilles seule ! Je te fais remarquer que je viens de faire un tas et qu’en deux minutes elles seront toutes ramassées tandis que toi tu les prends une par une comme si tu allais à la cueillette aux champignons. Alors tu râles ou tu apprends l’efficacité ?

Pas un mot. Elle se penche et recommence à ramasser ce qui reste de trombones, laissant apparaitre sous mon regard distrait une jolie chute de reins qui ne cesse de se mouvoir au rythme de la cueillette de trombones ! Un régal pour mes yeux ce mouvement aléatoire et parfois ondulatoire ! Finalement, je n’ai pas eu tort de venir lui donner un petit coup de main : j’ai été payé en retour ; pas payé cher certes mais suffisamment pour m’inciter à reprendre le travail avec courage.

Toujours est-il que ma douce collègue pour ne pas dire compagne …de travail, dans l’attente d’une croisière au soleil, se requinque l’esprit et le moral comme elle peut. Elle est depuis quelques jours en quête d’un bonheur et se plonge dans des bouquins de développement personnel et d’ésotérisme.

Je la croyais sauvée des mains de gourous et la voilà prisonnière de pages de bouquins aux titres aussi ronflants que creux !  Alors que je suis plongé dans ma messagerie professionnelle, elle m’interroge comme à son habitude, sans prévenir :                                                    

– Dis tu sais ce que signifie les accords Toltèques ?

7 les accords toltèques

Je relève la tête, perplexe. S’intéresserait-elle soudain au droit international et à la géopolitique ? Comme elle n’obtient pas de  réponse à sa question, je lui avoue mon ignarité :

– Non je ne connais pas. Qu’est ce que c’est ?

– C’est une philosophie de vie pour la voie de la maitrise de soi et nous apprendre l’amour de soi. On peut même obtenir des kits de survie à l’usage de tous ceux qui cherchent le bonheur.

Là, j’éclate de rire et ne peux me retenir. Je croyais que l’été et le soleil bronzant lui avait fait oublier ces idées farfelues, ce n’est pas le cas ; après un mois de vacances sans moi, elle en a profité pour replonger dans ses dérives. Je la pensais désintoxiquée mais loin de là cette idée car voilà que je la retrouve totalement plongée dans ces histoires de bonheur intérieur. Pire, elle me semble savoir encore mieux nager dans cet élément que dans sa piscine ou entre les bras puissants et musclés d’un beau maitre nageur.

Sur un ton goguenard, je lui demande :

– Ainsi donc ma Choupinette, tu fais partie de celles qui cherchent le bonheur ? Et depuis quand ma chérie ? Je croyais que tu l’avais trouvé ! Si ce n’est pas le cas, je te rappelle le cas échéant que tu peux avoir ton kit du bonheur gratuitement à portée de main devant toi !

Elle me regarde les yeux grands ouverts en se marrant.

– Tu veux dire en ta personne ?

– Ça va de soi mon amour ! J’ai mon diplôme de secouriste-réanimateur, nous avons notre petit nid d’amour, nos conversations intimes connues de nous seuls, nos petits secrets et nos petits rituels sensuels qui te rendent soudain immobile, frémissante, tendre et lascive. Tu es d’accord sur tout cela ?

– Oui mais ça ne suffit pas !

– Ne t’inquiète pas et ne sois pas si pressée ! Chaque chose en son temps, nous n’en sommes qu’aux en-cas, en-cas dont je ferais bien ma première partie de repas ! Reste que si tu cherches un kit du bonheur avec autant d’assiduité, j’en déduis qu’il y a de l’eau dans le gaz avec le Bobby bouliste ? Serait-il tombé amoureux d’une nouvelle boule avec laquelle il t’aurait trompée plus que d’habitude ? Je commence à comprendre.

Elle éclate d’un rire joyeux, ce rire qui me plait tant lorsqu’elle le libère. Elle ne conteste pas et je continue sur ma lancée :

– Humm hummm… Je vois. Ce serait donc cela … tous les espoirs sont donc permis et il est grand temps que nos chères et douces relations ne soit plus un en-cas mais un hors-d’oeuvre ma Choupinette caramel ! A sentir l’odeur et le velouté de ta peau douce et soyeuse, je devine et sais même que tu dois être délicieuse à déguster ! Un mets de roi à toi toute seule ! Pas vrai ma Choupinette d’amour ?

8 femme à peau bronzée

Pas de réponse…qui ne dit mot consent ! Il devient urgent que je fasse fabriquer une clé pour notre bureau afin de ne plus être gênés par des intrus qui ont tendance à arriver toujours à l’improviste au moment inopportun et sans frapper à la porte ! Quand nous aurons enfin cette clé, j’en profiterai pour faire graver une petite pancarte «DO NOT DISTURB», ce sera une occasion pour ma Choupette de progresser dans cette langue qui lui est si chère : l’anglais !

                                                                                                                             Yann Brugenn                                                                                                                               ©  décembre 2020                                                                                                ©  n°00050531-1 

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L’INDÉLÉBILE CICATRICE : VERS UNE TERRE INCONNUE. Chapitre 5 : Bienvenue à sainte Marthe


AVERTISSEMENT : Ce récit n’est en rien autobiographique. Il ne s’agit pas de souvenirs personnels. Les propos et faits décrits dans cette histoire ne reflètent en rien mes idées ou opinions. Ce récit est le fruits de divers témoignages d’anciens appelés du continent,  de trois officiers, de quelques rapatriés d’Algérie, de harkis et d’anciens soldats du F.L.N. qui ont fui leur pays après le putsch de Boumediene. Ce récit est aussi le fruit de souvenirs de reportages radio, de reportages télévisés et de lectures en cachette d’articles dans le journal paternel. Certains propos et dialogues sont authentiques, d’autres sont la synthèse de divers propos tenus par différentes personnes. Tous les noms ont été changés et toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé serait fortuite.

L’INDÉLÉBILE CICATRICE

(ELOGE FUNÈBRE ANTE MORTEM D’UN AVENTURIER PAS COMME LES AUTRES)

Deuxième époque

VERS UNE TERRE INCONNUE.

Chapitre 4

 BIENVENUE À SAINTE MARTHE.

           Alors qu’ils attendaient d’être appelés, du haut  des majestueux escaliers de la gare, Xavier eut un premier mais vague point de vue sur la ville qui l’accueillait. Derrière lui, des hommes de la police militaire avançaient et surveillaient les quais et patrouillaient dans les halls, doigt sur la détente de leur pistolet-mitrailleur et tous aux aguets.

1 escaliers gare saint charles

Marseille by night

           Appelés et guidés par des sous-officiers qui descendaient des véhicules qui venaient d’arriver, les soldats se rassemblèrent avant d’être invités à grimper dans les camions  ou les bus.  Alors que Xavier s’apprêtait à suivre les hommes dans un de ces véhicules, un sergent le saisit par l’épaule et lui annonça :

– Pas vous mon lieutenant. Vous allez à l’avant et vous emprunterez une des jeeps en tête du convoi.

Xavier remercia le sous-officier et se dirigea vers l’avant du long convoi dont tous les moteurs ronronnaient au ralenti. Parvenu en tête de cette étrange caravane, un capitaine lui fit signe de s’installer à côté de lui dans un des véhicules.  Après s’être mis à l’aise, il patienta lorsque qu’un adjudant siffla et fit le geste de démarrer aux conducteurs.

Lentement, la suite de véhicules se mit en route et commença à s’éloigner de la gare.

2 convoi camions militaires

Curieux, Xavier interrogea le capitaine assis à côté de lui :

– Nous sommes loin du camp où nous devons nous installer mon capitaine ?

– Non pas tellement. D’ici une demi-heure nous serons arrivés.

Résolu à en savoir un peu plus sur ce lieu dont il avait vaguement entendu parler, il continua de questionner son supérieur :

– Mon capitaine, j’ai entendu dire que ce camp était un gigantesque bordel plutôt sinistre. Est-ce exact ?

– En effet ce le fut mais le camp a été réhabilité et retapé voici deux ans. Il n’a plus rien à voir avec ce qu’il fut auparavant.

Toujours aussi désireux d’en savoir plus, Xavier tint à poser une autre question :

– Ce qui me surprend, c’est cette température. Il ne fait pas si frisquet pour une soirée de novembre. Je m’attendais à un soir plus froid.

La réponse ne se fit pas attendre et le capitaine l’interrogea :

– D’où arrivez-vous lieutenant ?

– J’habite Paris mon capitaine.

Dans un petit rire amusé le supérieur lui déclara :

– Normal, lieutenant. Vous êtes en Provence ici. Rien à voir avec le climat parisien. Vous constaterez demain quel temps il fait pour un mois de novembre. Vous serez stupéfié.

3 Marseille la nuit

Xavier tenta de voir ce à quoi ressemblait Marseille mais, dans l‘obscurité, il ne put se faire qu’une très vague idée de ce à quoi ressemblait cette ville. Devinant ce qu’il tentait désespérément d’observer de percevoir, le capitaine lui annonça :

– Ne cherchez pas à voir lieutenant. Vous aurez tout à loisir de découvrir un peu Marseille durant les moments de quartiers libres des trois ou quatre jours que vous allez passer ici.

Rassuré, Xavier remercia le capitaine pour ces renseignements.

Précédé de deux motards, le convoi traversa lentement la ville en direction du camp. A un moment, Xavier consulta le capitaine :

– Qu’est ce que c’est que c’est que cette sorte de tour la haut sur la droite.

Le capitaine se mit à rire e nouveau et lui répondit : 

– Ce n’est pas une tour et ne dites jamais ça à un Marseillais. Ce que vous appelez une tour, c’est Notre Dame de la Garde. L’église que les Marseillais appellent la Bonne Mère, un endroit sacré pour eux. Vous aurez l’occasion de pouvoir la visiter lors des quartiers libres mais je vous préviens, ça grimpe sérieusement.

A nouveau, le jeune lieutenant remercia son capitaine et attendit l’arrivée au camp.

            Après avoir roulé une bonne demi-heure, le long convoi parvint à l’entrée du camp sainte Marthe, en franchit lentement l’entrée qui était gardée par deux sentinelles dans leur guérites. Les camions se rangèrent dans une vaste cour cernée de hauts et longs bâtiments.

4 entrée camp sainthe

Un adjudant-guide de premier ordre.

Rapidement, Xavier jeta un coup d’œil circulaire pour voir ce à quoi ressemblait ce lieu. Il constata qu’il était entouré par quatre grands immeubles. Apparemment, ce n’avait rien à voir avec le boxon dégueulasse décrit par certains et il lui apparut bien loin de la triste renommée qui lui en avait été faite. Intérieurement il pensa :

– Ça n’a pas l’air si mauvais et si sale finalement. Je me ferai une réelle impression demain.

Eclairé par la lumière des réverbères du camp, il distingua sur le sol de longues lignes blanches. Soudain, une voix puissante, aidée par un porte-voix, incita tout le monde à quitter les camions et jeeps et à se mettre en place :

– Tout le monde descend ! Regroupez-vous par régiment et par bataillon. Rangez-vous le long des bandes peintes sur le sol. Ensuite, écoutez bien ce qu’on va vous dire.

Tandis que tous s’apprêtaient à suivre les ordres, Xavier observa l’homme : c’était un adjudant en uniforme, baraqué, le visage marqué. Ils avaient affaire à un sous-officier qui avait sûrement bourlingué depuis belle lurette.

Un quart d’heure plus tard, tous étaient bien en rang, en position «repos».

L’adjudant avançait lentement, d’un pas lourd entre les rangées d’hommes tout en continuant de distiller sèchement ses ordres et instructions.

5 militaires en rang

Xavier, fidèle à ce qu’on lui avait appris, se tint à côté d’un rang de soldats lorsque que le sous-officier, peu affable, un homme au visage buriné, s’approcha de lui et ordonna sur un ton qui ne souffrait aucune contestation :

– Oh ! Le bleu ! Tu n’as pas entendu qu’on te disait ? Tu as de  la merde dans les esgourdes ?

Xavier, peu impressionné par le sous-officier, réagit alors promptement en lui montrant ses galons :

– Dites, adjudant, un peu de respect ! Vous avez vu à qui vous vous adressez ? Un lieutenant !

Tout en lui faisant cette remarque, Xavier observa l‘uniforme de l’adjudant et vit sur son écusson qu’il avait face à lui un homme de la Légion étrangère, un soldat, un vrai baroudeur qui semblait avoir connu bien des expéditions. Le sous-officier esquissa un salut rapide et lui répliqua :

– Affirmatif mon lieutenant mais pour moi, ici vous êtes un bleu-bite ! Alors vous suivez les ordres comme tout le monde. Allez vous tenir en tête de rangée avec ces hommes et surtout écoutez ce qu’on va vous dire.

6 camp de sainte marthe marseille

 De sa forte voix, le sous-officier continua de s’adresser aux nouveaux arrivants :

– Devant vous se trouvent les dortoirs et au rez-de-chaussée les lavabos et les douches. A droite du bâtiment, vous trouverez les gogues. Sur votre droite, le carré et le mess des officiers. Derrière vous, se dressent l’intendance et au-dessus l’infirmerie. Dans le bâtiment de gauche, la cantine.

L’adjudant marqua un temps d’arrêt puis reprit son discours sur le même ton :

– Maintenant on va vous servir à manger sous les tentes qui sont dressées devant vous.

7 adjudant de la légion

L’adjudant, toujours porte-voix devant la bouche, ordonna :

– Rompez les rangs et foncez manger sous la tente qui est dressée devant la  cantine.

Avant même qu’’ils ne sortent des rangs, les soldats entendirent un haut-parleur déverser ces paroles qui ressemblaient surtout à des ordres :

– Quand vous aurez mangé, direction les dortoirs. Exceptionnellement, extinction des feux à minuit ! Demain, lever à cinq heures trente ! Dès votre lever, tenez-vous prêts avec votre carnet de vaccinations et pour d’autres vérifications.

Voilà qui s’annonçait prometteur et fort réjouissant pour ce début de court séjour avant d’embarquer.

Bon appétit messieurs !

Les hommes hésitèrent à se diriger vers ce lieu où ils allaient enfin manger puis se décidèrent à avancer vers une tente immense éclairée par la lumière blafarde des réverbères du camp, une immense tente sous laquelle était installé une sorte de  self-service.

Quand arriva son tour, on tendit à Xavier s’empara d’un plateau en fer blanc divisé en plusieurs creusets où étaient mis les différents mets. A sa grande surprise, le jeune homme constata que, après plus de douze heures de voyage, on leur servait un repas qui n’avait rien de repoussant, loin de là. Il eut droit, comme les autres, à un bouillon à la couleur étrange, une salade de betteraves, du riz qui baignait dans une sauce qu’il ne reconnaissait pas, une tranche de jambon, un morceau bien coulant de camembert qui dégoulinait et une petite tranche de pastèque.

Campée dans un coin du plateau, il aperçut une étrange boite cylindrique en fer blanc qui l’interpella. Il interrogea un des hommes qui servaient les soldats :

– Qu’est ce que c’est que cette boite ?

– Ça, mon lieutenant, c’est une canette de bière.

– Une canette ?

– Oui mon lieutenant, les boissons sont servies dans des canettes et non plus dans des bouteilles. C’est plus pratique et moins lourd à porter dans les bardas.

C’est ainsi que Xavier, très surpris, à huit cents kilomètres de la capitale, réalisa que la bière pouvait être conditionnée dans des récipients autres que des bouteilles

Puis il rejoignit les autres hommes entassés tout au long de tables plutôt sales. Il s’assit puis commença à manger ce qui lui parut vraiment comme un semblant de déjeuner.

8 plateau repas

Alors qu’il commençait à attaquer son repas, un capitaine le rejoignit et lui expliqua rapidement :

–  Lieutenant, ne restez pas là. En tant qu’officier vous pouvez venir manger au mess. J’en profiterai pour vous faire découvrir le carré des officiers.

– Merci mon capitaine mais pour ce premier repas, je vais rester avec les simples soldats pour me mettre un peu à leur place. Autant m’habituer puisque, en mission, je serai appelé à partager leur quotidien et leur nourriture. Si vous y tenez mon capitaine, revenez dans vingt minutes et je vous suivrai.

Déconcerté par cette attitude, le capitaine marqua un temps d’arrêt puis lui répondit :

– Bonne initiative pour la prise de contact avec des hommes lieutenant. Je reviens dans une vingtaine de minutes comme demandé.

          Une  demi-heure plus tard, le capitaine rejoignit Xavier :

– Ça y est ? Vous êtes prêt lieutenant ?

– Fin prêt mon capitaine. Je vous suis.

Découverte de l’ «hôtel des cadres».

Xavier emboita le pas au capitaine qui lui fit traverser la cour et le mena vers le grand bâtiment qui leur faisait face. Lui montant cet immeuble, son supérieur commença à débiter avec quelques détails des explications à Xavier tout en débutant une visite des lieux :

– Ici lieutenant, c’est le bâtiment réservé aux officiers, ce que nous appelons ici «l’hôtel des cadres ».

Dès qu’ils eurent pénétrés à l’intérieur, l’officier continua son explication :

– Au rez-de chaussée vous avez le mess des officiers. A l’étage, ce sont les chambres. Chaque officier a droit à une chambre individuelle et derrière, vous trouverez pour les beaux jours une piscine. Je doute cependant que vous en profitiez par ce mois de novembre. Puis-je vous poser une question personnelle lieutenant ?

– Faites mon capitaine, j’y répondrai si je juge cela opportun.

– Parfait. Êtes- vous croyant lieutenant ?

– Oui mon capitaine.

– Alors dans le cas, vous avez là-bas une chapelle où une messe est dite chaque jour, une chapelle où vous pouvez aller prier si vous en ressentez le besoin. Sinon, pour votre chambre, vous demanderez à l’officier de quart qui vous y mènera.

              Tandis que le capitaine parlait, le haut-parleur déversa ces mots :

«Extinction des feux dans vingt minutes. Rejoignez vos dortoir et couchez-vous ».

Xavier quitta le capitaine et lui expliqua :

– Je vais rejoindre les hommes pour voir dans quelles conditions ils vont dormir. Ensuite je reviendrai ici.

– Autorisation accordée lieutenant. Posez votre sac ici et confiez-le à l’officier de quart.

Dortoir de soldats et surprises.

Xavier s’exécuta et quitta le bâtiment. Il se rendit dans l’immense dortoir des soldats et observa autour de lui. Là, un sergent menait les soldats vers une sorte de vaste hangar entouré de grillages dans lequel se trouvaient des paillasses. Des paillasses qui étaient articulées sur des poteaux métalliques et qui étaient superposées sur trois niveaux de chaque côté des poteaux. A d’autres endroits, il vit des hommes allongés sur des toiles qui avaient été tendues à travers des tuyaux sur trois étages.

9 dortoir camp sainte Marthe

           Xavier vit les hommes relever les dites paillasses et les accrocher pour pouvoir s’y coucher. Il arpenta le dortoir et, après un coup d’œil rapide, estima qu’ils devaient se trouver à environ cent vingt à cent cinquante  hommes par bâtiment.

Alors qu’il arrivait au bout de ce dortoir, Xavier aperçut les toilettes et tomba sur des WC à la turque placés face à face sans porte de séparation entre eux. Après ce qu’il avait vu auparavant, il fut étonné par le manque d’intimité dont jouissaient les hommes. Alors qu’il continuait de regarder, une voix à l’accent trainant de titi parisien s’exclama en riant derrière lui :

– T’as vu ? Pour la branlette ce ne ne va pas être évident. On ne peut même pas se planquer.

Xavier se retourna et quand le jeune soldat réalisa qu’il venait de s’adresser à un officier, se mit au garde-à-vous, salua et dit :

– Mes excuses mon lieutenant, je croyais que c‘était un pote. 

– Ne t’inquiète pas mon gars mais à l’avenir, avant de parler de la sorte, vérifie de voir à qui tu t’adresses et devant un supérieur, modères tes propos. Pour ce qui est des plaisirs solitaires, tu pourras sûrement t’en passer. J’ai ouï dire que les soldats attiraient les filles. Tu auras le choix.

– Merci mon lieutenant. Bonne nuit mon lieutenant.

Le soldat quitta les lieux et Xavier continua le sien.

Alors qu’il faisait demi-tour, le jeune officier constata que les sous-officiers dormaient avec la troupe. Le jeune lieutenant s’approcha d’un des soldats et lui demanda :

– Bonsoir soldat. Comment se passe votre installation ?

Le soldat salua rapidement et répondit :

– Du mieux qu’on peut mon lieutenant. Les paillasses ne sont pas très confortables. On ne peut pas dire qu’on soit au Ritz ici, loin de là. En plus, question hygiène, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux. 

– Pourquoi donc cette réflexion soldat ?

– Parce que les paillasses sont pleines de puces et qu’il faut les secouer pour ne pas se faire piquer la nuit. Avez-vous votre valise avec mon lieutenant ?

– Non. Je l’ai laissée chez moi avant de partir. Pourquoi cette question dites-moi ?

– Parce qu’un sergent qui connait ce camp nous a mis en garde. Il parait que dans les dortoirs il y a souvent de la choure !

– De la choure ?

– Oui mon lieutenant. Certains chouravent dans les baraquements dès qu’on a le dos tourné, en particulier entre le repas et bien avant le moment où on va se coucher.

– Je ne vous comprends toujours pas. Qu’entendez-vous par chourave ?

Un petit sourire moqueur aux lèvres, le soldat expliqua à Xavier :

– Les vols mon lieutenant ! Certains hommes fouillent les paquetages des autres ou alors ils forcent les valises et là, ils piquent les victuailles offertes par la famille, ils emportent nos petits trésors et souvenirs personnels. C’est pour ça que je ne vais pas laisser mes affaires sans surveillance et que je vais dormir sur mon sac et ma valise. Demain, quand on aura quartier libre, j’achèterai un gros cadenas en ville.

– C’est une excellente initiative. Malgré cet inconfort, je vous souhaite tout de même une bonne nuit.

L’homme se mit au garde-à-vous, salua Xavier et lui répondit :

– À vous aussi mon lieutenant. Bonne nuit.

Xavier quitta le grand bâtiment lorsqu’il entendit le haut-parleur annoncer :

– Extinction des feux dans cinq minutes.

Il accéléra son pas et se rendit quatre à quatre dans sa petite chambre.

10 chambre officier

          Peu de temps après, le jeune homme était allongé, prêt à profiter pleinement de la courte nuit qui l’attendait. Il savait que le lendemain ne débuterait pas dans le calme.  

Yann Brugenn

© novembre 2020  

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Ventes privées et conséquences narcissiques


Le mois de juin est bien entamé et les effets secondaires des baisers présidentiels semblent s’estomper. Ma collègue a l’esprit totalement ailleurs et commence à ronchonner à peine entamé ce mois. Et pour cause, depuis plus d’une semaine, nos chers employeurs nous ont donné à traiter une enquête pas piquée des doryphores ! Une enquête sur la mondialisation et les échanges de tâches intra-groupes. Manque de chance pour nous et tous nos collègues, il s’avère que cette enquête et les explications que nous devons donner à nos interlocuteurs n’a rien à voir avec celle qu’on nous a décrite lors d’une formation très accélérée. Ceux qui ont pensé puis rédigé cette enquête devaient être sous l’effet d’amphétamines ou n’avaient pas dû dormir depuis plusieurs nuits : La rédaction laisse à désirer et les intitulés sont parfois incompréhensibles. Pire : une question en appelle une autre qui est totalement incohérente et illogique.

C’est ainsi que depuis une décade, nos cerveaux sont en surrégime et fument comme les cheminées de nos aciéries au temps de leur splendeur.

Nous faisons travailler à fond tous nos neurones et leurs bataillons de réserve, les touches de nos téléphones commencent à supplier qu’on cesse d’appeler tant  elles souffrent d’être autant pressées, manipulées, et triturées ; prisonnières de nos mains expertes et travailleuses, les souris de nos PC s’apprêtent à demander grâce sous nos clics répétés et rageurs. Nos écrans scintillent de tous bords et deviennent comme fous : lorsque nous contactons une entreprise, ce n’est plus un écran que nous avons sous nos yeux fatigués mais une mosaïque de cadres ! Une mosaïque que nous parcourons de droite à gauche, de bas en haut ou en diagonale, si bien que nous finissons par nous perdre au milieu des chiffres, des cases et des intitulés.

S’il n’y avait pas les pauses que nous nous imposons nous finirions par péter une durite et nos écrans fumants finiraient par claquer sans prévenir. Tandis que je m’affaire devant un de ces dossiers qui me met parfois les nerfs à vif, Célestine presque scotchée à son écran et en pleine réflexion laisse partir de cette voix chantante dont elle sait si bien se servir :

– Yann, mon chouchou… 

Oooooh ! Quand elle m’appelle ainsi avec cette voix d’hôtesse, je sens qu’il ne va m’arriver rien de bon. Célestine va me demander quelque chose, j’en suis alors convaincu. Je réponds en grommelant :

– Oui ! Qu’est ce qu’il y a ?

Elle insiste en minaudant un peu plus. Sa voix est devenue plus douce, plus chantante, plus veloutée et plus sensuelle. Intérieurement je sens venir l’arnaque, le piège à homme bien préparé :

– Mon chouchou, tu peux venir voir, je n’arrive pas à me débarrasser de ce message d’erreur.

Gagné ! Je m’en doutais. Toujours aussi galant et prêt à secourir la veuve, l’orphelin et la femme en détresse, je me lève en ronchonnant, contourne nos bureaux et m’installe à côté de ma consœur. Coup de chance pour moi, il n’y a même pas un fauteuil à ma disposition. Je me vois donc contraint de m’accroupir pour me placer à hauteur de bureau et d’écran. Une position plutôt inconfortable puisque me voilà accroupi sur la pointe des pieds, pratiquement en porte-à-faux et m’accrochant à son bureau pour ne pas basculer en arrière. Cela ne suffit guère puisque régulièrement, mon corps se lance dans un mouvement de balancier irrégulier d’avant en arrière. Le culbuto que je suis devenu voit venir le moment où il va se casser la figure mais il tient bon. Persévérant et tout à la mission de secours qui m’est octroyée, je regarde l’écran et demande à Célestine :

– Bon, passe-moi ta souris que je me promène sur ton foutu écran de malheur.

A peine capturé l’engin, me voilà parti à errer sur ses différents cadres qui apparaissent sous mes yeux. Je pense alors tout haut et raisonne en faisant le plus appel à la logique pour trouver la clé de son problème :

– Bon ! Il est à la tête d’un groupe, avec des filiales à l’étranger et il délocalise. Voyons où ?

Je passe vers un autre cadre et constate qu’il ne délocalise nulle part. J’annonce à Célestine :

– S’il délocalise à l’étranger il ne peut pas laisser ce cadre là vide. On coche cette case.

J’agis et … Miracle voilà une partie du dossier de résolu. Je continue de balader la souris sur le plan de travail pour aller de cadre en cadre lorsque, à plusieurs reprises, la dite souris butte sur des obstacles. A la troisième fois, je commence à m’énerver puisque ne pouvant amener mon curseur où je voudrais. Je regarde le plan de travail et m’aperçois que mon cher mulot vient buter dans le sous-main qui supporte le clavier.

Énervé de ne pouvoir travailler comme je le voudrais, j’interpelle ma collègue :

– Peux-tu me pousser ça ? Il me gêne dans mes avancées.

Elle ne semble pas tout à fait comprendre :

– Qu’est ce qui te gêne ?

Pour toute réponse, d’un coup de poignet rageur, je pousse violemment le sous-main et le clavier :

– Ça ! Ça occupe toute la place et ma souris a besoin de son lebensraum pour travailler.

Ma consœur écarquille les yeux comme si elle était devenue un grand-duc et m’interroge, bouche presque bée :

– Elle a besoin de quoi ?

– De son lebensraum !

– Qu’est ce que c’est que ça ?

Je réponds à ma collègue à ma façon avec un ton légèrement teinté d’ironie :

– Célestine, tu es bien une germaniste, non ?

– Euh oui !

– Et combien d’années d’allemand as-tu fait ?

– Six ans pourquoi ?

– Parce que, soit tu as vite oublié ce que tu as appris, soit tu ne devais pas être une élève très assidue. Pour ta gouverne chère collègue, le lebensraum c’est l’espace vital ! Et apprends que ma souris a besoin de cet espace pour mieux circuler et promener son petit curseur à sa mémère sur l’écran.

L’obstacle ayant disparu, je me remets à la tâche. Je suis si affairé que j’en oublie de me tenir au bureau de Célestine si bien qu’à un moment, je me sens partir en arrière et manque de tomber à la renverse. Me rattrapant de justesse, j’interpelle ma collègue :

– Choupette ! Que tu m’appelles à l’aide je le conçois mais il serait bon que le sauveteur puisse lancer son opération de sauvetage dans de meilleures conditions ! La prochaine fois, je vais aller m’offrir le mur et tu me ramasseras évanoui. Tu devrais avoir un fauteuil visiteur pour ton sauveteur préféré tout de même.

Elle me regarde avec ce sourire dont elle possède le secret et me répond naïvement :

– Tu en as un non loin de toi.

Je regarde le dit fauteuil qui est en fait un siège :

– Celui là ! Tu rigoles j’espère ? Je serai mal assis dessus et ne pourrai même pas me trouver face à l’écran. Comme conditions de travail optimum tu n’as pas mieux ? Au cas où tu n’aurais jamais essayé cette position, sache que je suis mal à l’aise, accroupi sur la pointe des pieds et qu’à ce rythme je vais attraper une tendinite des arpions ou m’offrir une superbe crampe. Pour t’aider, il faut que je me trouve face à ton écran.

Elle continue de me fixer, interrogative :

– Mis à part le siège je n’ai rien d’autre mon Chouchou.

Je l’interromps alors :

– Moi, j’ai une solution, elle est très simple et sans danger.

– Ah bon ? Laquelle ?

– Pour être bien en face de ton écran et travailler le mieux possible pour toi, le plus simple serait que tu me prennes sur tes genoux. Avoue que c’est une bonne idée non ?

Elle marque un temps d’hésitation et réplique :

– Et bien, je ne sais pas. Si quelqu’un rentrait et qu‘on me voyait avec toi sur mes genoux, tu te rends compte ? Je tiens à ma réputation.

– Ta réputation ! Tout de suite les grands mots ! Les visiteurs verraient une femme désemparée en train de se faire aider par un collègue attentionné, c’est tout. Après tout pourquoi pas Célestine? Tu aurais droit à l’utile et moi à l’agréable. C’est un échange de bons procédés, non ?

Pour toute réponse, Célestine a ces mots :

– Oh non ! Il faut que je maintienne ma réputation de femme honnête.

– Pffff ! Ta réputation de femme honnête tu parles ! Dois-je te rappeler tes multiples aventures à la campagne, dans le désert et avec les soldats ? Je vais faire travailler les ondes de radio couloir et, ta réputation de femme honnête à ma façon, je vais te la transformer en réputation de bigote coincée.

Sur ces mots, elle se lève et m’annonce de sa voix la plus suave :

– Tiens. Prends ma place, tu vas pouvoir terminer de m’aider à corriger cette saleté de dossier.

Duuuur ! Je m’attendais à une toute autre réaction ; je ne goûterai pas aux délices de ses genoux et de ses jambes ! Tant pis, la prochaine fois qu’elle m’appellera au secours, et je sais que cela aura lieu à plusieurs reprises, je monnayerai âprement mes services. : je me suis fait avoir une fois mais il n’y en aura pas deux !     

Après que j’ai solutionné tous ses problèmes de questionnaire et d’écran, elle se remet alors au travail et, juste avant de partir déjeuner, m’annonce d’une voix enjouée :

– Je vais rentrer un petit peu en retard. J’ai un ou deux achats à effectuer.

– Mais fais donc ma Choupinette ! Cours te ruiner et prive-toi d’un bon repas, tu as raison.

Elle ne prête guère attention à ma remarque et, à midi sonnant, voilà ma Célestine qui se lève comme si elle était réglée sur un mécanisme précis d’horlogerie suisse. Une petite heure plus tard, laissant de côté les plaisirs de la digestion, je retourne discuter avec mes compagnons les plus fidèles : mon poste de travail et mon micro-ordinateur ! Face à moi je trouve un fauteuil orphelin, plus vide qu’un oued du Sahel en période de longue sécheresse, un fauteuil qui se languit de celle qui lui est si chère et ne lui a jamais fait aucune infidélité ou presque : Célestine.

Intérieurement je pense tout haut :

– Ça y est ! Elle a dû tomber sur LES affaires du siècle et ne parvient plus à remplir son coffre ou bien, elle a assassiné sa carte bleue et le magasin la garde en otage comme mauvaise payeuse.

Personnellement, je ne m’inquiète guère connaissant le côté débrouillard de ma jolie collègue en matière d’achats et de négociations avec les commerçants.

Tandis que j’ausculte et regarde de plus près un dossier sensible, une main timide tape à notre porte.

– Oui ! Entrez !

Et je vois entrer Justine, égale à elle-même, souriante mais toujours aussi réservée tant dans ses propos que dans sa tenue. D’une voix mélodieuse, elle me lance :

– Bonjour Yann, Célestine n’est pas là ? 

– Aaaah ! Je vois ! Tu viens pour elle simplement. C’est sympa pour moi j’avoue. Célestine ? Pas encore rentrée tu vois. Je suppose que ses un ou deux achats ont subi le miracle de la multiplication des emplettes. A mon avis elle croule dessous et doit être en train de pousser pour tout caser dans son coffre de sa voiture aux phares bridés.

Justine semble légèrement navrée et, tournant les talons, m’annonce :

– Tant pis, je repasserai.

La porte est à peine refermée qu’une autre main frappe. Encore !!! Pour la forme, je laisse échapper un claironnant :

– Oui ? Entrez !

Et là, c’est cette chère Valentine qui fait son entrée. Elle jette un regard vers le siège de ma collègue et m’interroge :  

– Célestine n’est pas là ?

Ce genre de question m’amuse toujours, aussi j’y réponds à ma façon :

– Je ne saurais te dire. Peut être est-elle sous le bureau ou cachée dans un des placards à moins qu’elle ne se trouve à mes pieds et se cache de peur que cela ne se sache.

Valentine réagit aussitôt :

– Tu es bête !

– Oui je sais très chère mais à question idiote réponse idiote. Son fauteuil est vide donc elle est absente.  

A peine Valentine s’apprête-t-elle à faire demi-tour qu’un pas familier se fait entendre :

– Tiens ! La voilà ta sœur jumelle. Je reconnais son pas de charge de cavalerie.

Valentine est choquée que je parle de la sorte de sa chère copine :

– Oh ! Ce n’est pas son pas ça.

– Je te l’accorde  mais cette arrivée d’un pas lourd et inhabituel ne peut qu’être que la sienne.

– Oh non Yann, tu es dur  là ! 

– Non non ! Réaliste et habitué à son pas léger. Je t‘assure que c’est elle mais comme elle doit être plus chargée qu’un cheval de bât, on n’entend qu’elle. Tu paries qu’elle a les bras envahis par les paquets ?

Je n’ai pas terminé de m’expliquer que nous entendons la clenche de la porte remuer et la voyons bouger dans tous les sens sans que la porte ne s’ouvre pour autant.

– Tiens ! Manifestement Célestine éprouve les plus vives difficultés à ouvrir cette porte. Tu vois Valentine, je te l’avais dit. A mon avis, elle n’a pas que les bras d’occupés. Elle doit avoir les mains prisonnières de tous ses sacs.

J’interpelle ma collègue et lui lance ironiquement :

– Alors  ? Je suis dur ? Toujours aussi choquée que je parle ainsi de ta sœur siamoise ? Qui avait raison ?

Valentine hausse les épaules et, vexée, ne relève pas mes propos. Elle se déplace et va ouvrir la porte. C’est alors que, dans l’entrebâillement de celle-ci apparaît la silhouette de Célestine, les bras totalement envahis par des sacs de toutes couleurs et des paquets qui lui occupent les bras. On ne voit que sa silhouette cachée par son encombrant chargement, une silhouette masquée par ses sacs et paquets, une pauvre silhouette  dont le haut de la tête est dissimulé par un paquet immense. Je regarde ma montre et lui lance sur le ton du reproche :

– Dans tes acquisitions, tu as pensé à acheter une montre neuve en bon état de marche ?

– Euuuhh non pourquoi ?

– Parce que tu m’as dit en partant que tu arriverais un petit peu en retard. Il va falloir que tu me précises comment tu définis « un peu en retard ». Nous ne devons pas avoir appris à compter avec les mêmes règles parce que tu m’as bien précisé que tu avais un ou deux achats à effectuer. Tes achats ont fait des petits en cours de route à ce que je vois.

Je n’ai pas le temps de terminer que tout ce qu’elle porte est posé à terre dans un bruit sourd qui fait trembler les murs du bureau. Maintenant que son visage n’est plus caché par ses paquets volumineux, je la regarde, lui place ma montre en évidence sous les yeux et la relance :

– Tu as vu l’heure ? Une heure de retard. C’est ça un petit peu en retard. Il va falloir revoir tes horaires ma Choupette.

Pour toute justification, elle m’annonce, sourire aux lèvres et l’air ravi :

– Je suis allé acheter mon bébé !

Valentine observe les paquets qui gisent à terre et se rapproche de son presque double. De mon côté, je n’en reviens pas de ce que je viens d’entendre et demande une confirmation :

– Qu’est ce que tu es allée faire ? J’ai dû mal comprendre.

– Je suis allé acheter mon bébé !

Elle est folle, c’est maintenant certain, le soleil a eu raison de son équilibre psychique :

– Tu es allé acheter ton bébé ? Tu es sûr que tout va bien.

– Oui très bien. Je vais te le montrer.  Et la voilà qui déballe un grand sac rose, un sac plus grand qu’un cabas de nos grands-mères décoré avec ce qui me semble être des gros cœurs. J’éclate de rire à la vue du sac :

– Ça commence en beauté ! Il est bien emballé ton bébé ! Installé dans un sac avec des cœurs ! Je sais que d’après toi tu es une incorrigible romantique mais de là à autant l’afficher, tu pousses loin.

Moqueuse, Célestine, me reprend :

– Ce ne sont pas des cœurs ! Ce sont des cerises parce que mon sac est un sac de marque « Fan des cerises ».

Tandis qu’elle étale ses multiples paquets sur son bureau, je tente de me replonger dans mon travail malgré le bavardage que ces dames, rejointes par Justine, ont entamé. Ces dames qui caquettent à qui mieux mieux devant tous les achats et s’esbaudissent : même un poulailler industriel serait plus calme ! Allez donc travailler dans un tel vacarme !  Célestine m’interpelle alors : 

– Dis mon Chouchou, tu as vu ? Je me suis acheté un nouveau corsage.

Sans même relever la tête, je réponds pour la forme :

– Oui oui ! J‘ai vu.

Elle insiste tout de même sur cet achat qui semble à ses yeux hors du commun :

– Regarde, tu n’as pas dû faire très attention.

Machinalement, je relève la tête et aperçois ma Choupette dans un corsage qui moule à la perfection ses jolies formes. En effet, il lui va à ravir. Tandis que j’admire le contenant et le contenu, Célestine, fier de son nouveau vêtement, me précise :

– Tu as vu, il est rose et c’est un vichy !

– Je vois, je vois. Ça redevient  très tendance le Vichy et comme de bien entendu, en effet il est rose. Il aurait été étonnant qu’il soit d‘une autre couleur.

Tout sourire, ma collègue m’interroge :

– Il me va bien hein ?

– Très bien même ! Il te va à ravir. De toute façon je ne peux pas le rater ton corsage.

Étonnée, elle cherche à comprendre la raison de cette remarque :

– Ah bon ? Il est si beau que ça !

– Il est beau et surtout, il est fort bien habité. Devant ce merveilleux balcon que tu offres à mon regard, ce balcon bien occupé et fort joliment fleuri ou plutôt, décoré devrais-je dire, nul homme ne peut rester insensible. Tes appas sont si florissants qu’un de tes boutons a refusé de rester en place pour leur offrir un peu de liberté.

Elle rit à l’écoute de mon petit compliment :

– Tu trouves qu’il me va si bien ?

– Ah que oui ! Il y aurait un concours balconnets fleuris, tu serais gagnante loin devant les autres.

Célestine s’offre un léger rosissement qui empourpre délicatement ses joues puis elle se tourne vers ses amies :

– Je vais vous montrer mon bébé ! 

Et la voilà qui déballe avec empressement son fameux bébé ; elle est si pressée qu‘elle ne tient nullement compte de l’emballage et nous sort un baigneur de la grandeur d’un enfant de 3 ou 4 mois !  A peine le dit baigneur est-il sorti de sa prison de carton qu’elle le prend dans ses bras et le coince délicatement au creux de son épaule,  se mettant alors à opérer un mouvement de droite à gauche et de gauche à droite comme si elle tournait autour de sa colonne vertébrale. Je suis éberlué devant ce comportement et lui annonce :

– Encore un palier de plus et tu vas t’empresser de lui chanter «Meunier tu mords». Ma pauvre Célestine, te voilà en pleine régression ! C’est le début du gâtisme précoce !

Elle se défend quant à son comportement :

– Mais tu n’y comprends rien. C’est un bébé Momolle et ça faisait des années que je rêvais d’en acheter un.

– Ah oui pour en rêver, tu as dû vraiment en rêver ! Ce dut être même parfois un rêve éveillé ! Ton bébé Momolle te rend complètement fofolle. Que tu sois tombé enfin sur ta poupée de tes rêves je le conçois mais l’acheter alors que tu es une jolie quadra, tu n’as pas la nette sensation d’être en retard ?

Etonnée, elle réplique avec le plus grand sérieux :

– Mais pas du tout ! Je réalise un rêve.

– Ma pauvre Choupette, j’ai la vive impression que le fait de voir ta progéniture commencer à quitter le nid de plus en plus souvent te travaille sérieusement. Ça entraine chez toi comme un vide côté instinct maternel, une nette carence affective. Vu ton âge, il n’est pas trop tard pour combler ce vide. Si tu cherches un volontaire, je connais quelqu’un prêt à se dévouer et à faire don de son corps pour le renouvellement de la population et remplir ton manque affectif.

Elle se défend alors vivement :

– Mais pas du tout, je n’ai aucun manque qui soit ! C’est un bébé que je rêvais d’avoir depuis plusieurs années.

– Bien sûr ! Bien sûr ! Ma Choupette, je te sens en manque profond de câlineries et d’affection.

– Mais pas du tout. Je réalise un rêve de fille. Regarde comme il est beau mon bébé !

Et la voilà qui me tend son baigneur en celluloïd à bout de bras pour que je j’abonde dans son sens. Elle se penche si bien vers moi que je vois en effet le dit bébé mais qu’elle m’offre aussi une vue imprenable sur ce profond décolleté !  Une merveilleuse vue panoramique proche d’une des merveilles de la nature !    

Reprenant mes esprits plus que troublés (on le serait à moins devant un si merveilleux spectacle) je regarde rapidement son achat surprenant et donne mon avis :

– Oui ! C’est une poupée et tu commences à faire un transfert dessus. Il est grand temps que fifille Manon se mette au travail parce que je devine des envies cachées de devenir grand-mère.

Elle sursaute en prenant soin de ne pas bousculer son poupon :

– Mais pas du tout ! Qu’est ce que tu racontes ?

– Je constate d’après ton comportement un certain empressement à pouponner. Le jour où Manon va devenir maman, elle aura intérêt à surveiller de près la nouvelle mamie sinon le bébé finira par ne plus lui appartenir ! Je plains à l’avance le futur nouveau-né !

Tandis qu’elle tente de justifier son achat, Valentine lui demande :

– Il est beau ! On dirait un vrai. Tu me le passes que je vois de plus près ?

Le pire arrive quand Valentine se retrouve avec le baigneur entre les mains : Elle s’en empare comme s’il s’agissait d’un vrai poupon, le berce et annonce en levant les bras en l’air :

– Regarde, on peut même le faire sauter en l’air comme un vrai.

A les voir toutes les deux, je pense être tombé dans un asile de foldingos. La seule à rester relativement sage est Justine qui ne s’étale pas de trop en commentaires sur cet achat. Tandis que Valentine s’amuse à faire sauter le fameux bébé, Célestine précise :

– Regarde, il a même des vêtements à sa taille et je pourrai en acheter d’autres qui lui conviendront.

Plus je les écoute, plus je les entends et plus je m’interroge :

– Mais où suis-je donc tombé ? Elles travaillent toutes les deux du bigoudi ! Qui sont ces furies ?

Je tente même de me convaincre pour être rassuré : «N’aie pas peur ! Tu te trouves dans un rêve. Il n’y a pas erreur de casting.  Allez Yann, il faut que tu te pinces ! C’est sûr tu vas te réveiller et revenir à la réalité. »

Machinalement je me pince le bras. Mais non ! Je ne rêve pas…je suis confronté à une affreuse réalité et commence à craindre que cela de finisse par déteindre sur moi. Pourvu qu’il n’en soit rien et que j’échappe à ce désastre.  

            Après une bonne demi-heure de conversation à propos du bébé, Valentine et Justine se décident à quitter notre petit nid d’amour. La porte refermée, je me retrouve avec Célestine face à moi ; Une Célestine qui, tout sourire, m’interroge :

– Il te plait mon nouveau corsage ? Moi je le trouve beau.

C’est alors, qu’un bras appuyé sur son bureau, elle prend une position toute naturelle qui met en valeur tout ce qui fait sa beauté et son charme et se penche vers mon bureau. Un réflexe me parcourt et j’interpelle ma collègue :

– Ne bouge pas ! Comme ça tu es délicieuse ! Tu respires charme, beauté et volupté au naturel. Ça mériterait presque que je te prenne en photo.

Elle se fige et annonce :

– Me prendre en photo mais avec quel appareil ?

– Avec ça ! Cet appareil fait des petits miracles.

Je m’empare de mon téléphone portable et contourne le bureau.

Célestine se recule et réplique :

– Oh non ! Tu ne vas pas me prendre en photo ? 

– D‘une voix grave et assurée, je lui réponds sur un ton qui refuse toute contestation :

– Siiii ! Bien au contraire. Quand on est photogénique et souriante comme toi naturellement, on laisse faire l’appareil. Allez installe toi et dis à mon portable que tu es amoureuse de lui !

Elle sourit d’abord puis se met ensuite à rire de bon cœur tout en se prêtant au jeu. Tandis que mes phrases fusent et que je lui débite bon nombre d’âneries pour la distraire, le téléphone portable-appareil photo continue d’explorer les moindres qualités de ma collègue, et quand j’annonce « qualités », c’est un euphémisme. Après cinq minutes, je la regarde dans les yeux et lui annonce :

– Et maintenant, on photographie la star de la journée : le corsage Vichy !

– Surprise, elle réagit en s’empourprant :

– Le corsage ? Mais tu as vu mon décolleté ?

– Oui ! Justement et l’objectif aussi l’a repéré.

Elle s’apprête à fermer un des boutons mais j’interviens autoritairement :

– Pas de ça Choupette ! NA-TU-REL-LE,  tu m’entends ! Sois naturelle et laisse l’objectif te prouver que tu es belle !

Dix minutes plus tard, je lui montre le résultat que j’ai transféré sur mon écran de PC. Elle regarde, attentive puis laisse échapper :

– Ooooh ! J’adore celle là ! Et sur celle là je suis bien ! Et la dernière, j’aime beaucoup la dernière.

Elle reste muette devant les photos et demande :

– Tu me les envoies par messagerie. Je vais me faire un press-book !

– Un press-book ?

– Oui et j’y mettrai toutes les photos de moi qui me plaisent.

– Et bien ! Pour quelqu’un qui ne voulait pas être prise en photo voici un quart d’heure, tu es rapide. 

– C’est à cause de toi mon Chouchou. 

– Comment ça à cause de moi ?

 – Je ne sais pas comment tu fais mais tu sais me rendre belle.

– Erreur ma Choupette ! Tu es belle et naturelle et je sais comment te photographier pour faire ressortir ce qui est lumineux en toi.

Elle insiste encore :

– Quand tu me prendras en photo, si tu me reprends, tu me les passeras que j’alimente mon press-book.

Ça y est, la voilà qui veut se faire un livre comme les mannequins ! Bonté divine qu’ai-je fait. Je réplique tout de même à sa phrase :

– C’est une bonne idée ça. Tu pourras l’ouvrir quand tu seras octogénaire et tu le regarderas avec des regrets en te disant «j’étais belle  en ce temps là et on m’appréciait. Pourquoi n’en ai-je pas profité plus quand des occasions se présentaient.» 

Elle sourit et regarde les photos que je viens de lui envoyer par messagerie. Si avec ces quelques mots sur les regrets, elle ne se met pas à réfléchir sérieusement à son avenir proche, c’est à désespérer. Laissons ma Choupette penser, s’admirer, devenir un peu narcissique ; le reste suivra et j’agirai.

Yann Brugenn 

©  septembre 2020

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L’INDÉLÉBILE CICATRICE : VERS UNE TERRE INCONNUE. Chapitre 4 : Un sentiment diffus d’appréhension et de curiosité face à l’aventure.


AVERTISSEMENT : Ce récit n’est en rien autobiographique. Il ne s’agit pas de souvenirs personnels. Les propos et faits décrits dans cette histoire ne reflètent en rien mes idées ou opinions. Ce récit est le fruits de divers témoignages d’anciens appelés du continent,  de trois officiers, de quelques rapatriés d’Algérie, de harkis et d’anciens soldats du F.L.N. qui ont fui leur pays après le putsch de Boumediene. Ce récit est aussi le fruit de souvenirs de reportages radio, de reportages télévisés et de lectures en cachette d’articles dans le journal paternel. Certains propos et dialogues sont authentiques, d’autres sont la synthèse de divers propos tenus par différentes personnes. Tous les noms ont été changés et toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé serait fortuite.

L’INDÉLÉBILE CICATRICE

(ELOGE FUNÈBRE ANTE MORTEM D’UN AVENTURIER PAS COMME LES AUTRES)

Deuxième époque

 VERS UNE TERRE INCONNUE.

Chapitre 3

        Un sentiment diffus d’appréhension et de curiosité face à l’aventure.

DERNIÈRE VUE DE PARIS ET NOSTALGIE.

              Assis dans sa banquette, Xavier réalisa que le voyage ne serait pas très confortable : en effet, il se retrouva dans un compartiment rempli par sept autres militaires. Pour prendre ses aises au moment de dormir, cela s’annoncerait mal. Cette idée le quitta rapidement car, bercé par le bruit saccadé des roues sur les rails, Xavier se sentit envahi par un flot de pensées toutes aussi diverses que variées. Il ne savait pas quoi penser de ce voyage et de cette destination qui lui était totalement inconnue ou presque.

C’est alors qu’une idée lui traversa l’esprit : il lui fallait voir Paris une dernière fois avant que la capitale ne disparaisse à son regard. Après s’être excusé auprès de ses camarades, il passa entre leurs jambes repliées et se rendit dans la coursive du wagon. Une fois devant une des fenêtres, il l’abaissa, s’accouda contre une barre en métal scellée dans le wagon et aperçut la capitale qui disparaissait petit à petit. Un sentiment d’étrangeté s’empara de lui : jamais il n’avait observé cette ville de la sorte. Songeur, il vit se détacher les plus hauts monuments de Paris. A ce moment, un soldat s’approcha de lui et l’interrogea :

– Que regardez-vous mon lieutenant ? Vous avez l’air songeur.

Surpris par cette intervention et tiré de sa rêverie mélancolique, Xavier tourna la tête et vit le soldat. Sans aucunegêne, il lui expliqua la raison de son attitude.

– Cette ville, vous savez au moins de quoi il s’agit ?

– Bien entendu mon lieutenant. C’est Paris.

– Et vous connaissez cette ville ?

– Pas vraiment. Je ne connais Paris que par une carte postale de la Tour Eiffel. Sinon, je n’y suis jamais venu.

– Voyez-vous, cette ville, c’est la mienne. J’y suis né et j’y ai toujours vécu. Jamais je ne m’étais éloigné autant d’elle ? ce qui explique mon léger coup de cafard. Je ne l’avais jamais vue telle qu’elle m’apparait maintenant.

Xavier baissa la vitre et pointa son doigt en direction de certains monuments de la capitale. Il expliqua au soldat :

–  Vous voyez cette colline avec un grand immeuble blanc qui surplombe la ville ?

1 Butte Montmartre

– Oui je vois. De quoi s’agit-il ?

– Il s’agit de la Butte Montmartre qui domine tout Paris et d’où vous avez une belle vue d’ensemble de la capitale.

– Et vous vous extasiez devant cette colline ?

– Cette colline comme tu l’appelles est un des lieux les plus connus des touristes. Tu y as la célèbre place du Tertre sur laquelle tu peux voir des peintres, des caricaturistes ou des chanteurs de rue. Sur cette même place, tu as la possibilité d’aller dans un petit restaurant sympa ou de t’offrir une soirée dans un cabaret pour te distraire ou rigoler.

Le soldat semblait étonné par la façon passionnée dont Xavier parlait de cette butte.

– Des cabarets ? Qu’est ce que c’st ?

– Des lieux où tu dînes en assistant  un spectacle. Le Moulin Rouge, tu connais ?

– Oui. C’est l’endroit où on donne des spectacles avec des filles nues.

– Presque nues mais ça vaut la peine d’y aller.

Xavier changea de conversation et pointa son doigt vers un autre endroit :

– Et là, ce grand monument blanc avec un grand clocher arrondi, tu connais ?

– Non pas du out.

– C’est la basilique du Sacré Cœur.

2 Sacré Coeur

Après un léger silence, Xavier montra un autre endroit :

– Je suppose que ce que tu aperçois en face ne t’est pas inconnu ?

– Non. Je reconnais la Tour Eiffel.

– Absolument. Et ces deux tours et cette flèche qui se détachent au-dessus des immeubles, tu connais ?

– Non. Qu’est ce que c’est ?

– C’est la cathédrale Notre Dame, une superbe cathédrale connue mondialement.

Le soldat, étonné par tant de connaissances, demanda :

– Et vous mon lieutenant, vous connaissez tout Paris ?

– Oh que non ! Je connais les plus beaux endroits mais je n’ai jamais eu le temps de visiter tout Paris qui est immense.

Le soldat, légèrement émerveillé, se fit une promesse :

– Dès que je le pourrai, il faudra absolument que je vienne visiter Paris. Vous m’en parlez si bien que ça semble vraiment une ville à découvrir.

– Je te le confirme mon gars.

             Durant un moment de silence, alors que le soldat admirait la capitale, Xavier prit alors conscience qu’il ne connaissait pas vraiment cette ville où il avait vécu pendant vingt ans. De Paris, il avait le souvenir des petites rues calmes, d’une partie de Montmartre, des petits commerces, des grands boulevards, des belles avenues et de certains grands magasins. Mis à part certains grands monuments, il n’avait jamais vu sa ville autrement que de l’intérieur.

Dix minutes plus tard, sa ville natale avait totalement disparu et il n’avait devant les yeux qu’un défilé d’arbres qui longeaient la voie. Peu enclin à les compter pour passer le temps, Xavier, après s’être excusé de nouveau, passa entre ses camarades et revint prendre place sur sa banquette.

MÉLANCOLIE ET SOUVENIRS D’ANCIENS VOYAGES D’ENFANCE

            Tandis que le train prenait de l’allure, son esprit vagabonda, des souvenirs épars mais précis lui traversèrent la mémoire et un sentiment étrange s’empara de Xavier : jamais jusqu’à ce jour, il ne s’était autant éloigné de sa ville et de son quartier. Il réalisa qu’il partait vraiment à l’aventure et s’en allait à la découverte d’un ailleurs dont il ne connaissait rien. Un grand moment chargé de questions s’empara de lui et lui revinrent alors en mémoire des souvenirs tous aussi joyeux les uns que les autres. Ce voyage qu’il entamait n’avait rien à voir avec ceux qu’il avait fait quand il était enfant. Un mélange de nostalgie et de légère peur s’empara de lui durant quelques instants ; Xavier eut alors la sensation de partir vraiment à la découverte de l’inconnu.

Il lui revint à l’esprit les souvenirs de ses plus longs voyages avec ses parents : assis à l’arrière de la Traction avant Citroën, son père les avait, à plusieurs reprises, emmenés pour rejoindre la côte normande et passer à deux reprises quinze jours dans un charmant petit port de pêche appelé Honfleur.

3 Honfleur

Une petite ville de la côte où des artistes du dimanche s’entrainaient à peindre le port de pêche ou les différentes vieilles maisons normandes qui pullulaient dans cette ville. De ce séjour, il gardait le souvenir de bateaux qui arrivaient tôt le matin, de marins et de pêcheurs qui déchargeaient des dizaines de bacs de poissons et de crabes et de l’odeur de la pêche; il lui venait aussi en mémoire l’odeur très spéciale de la mer et ce vent qui n’existait pas à Paris. De ces vacances en famille lui parvint le souvenir de quelques pique-niques dans la campagne dans l’arrière-pays.

            Lors d’autres vacances d’été, au volant d’une 203 Peugeot flambant neuf, son père les avaient emmenés,  toujours sur cette côte normande, dans une petite station bien calme nommée Cabourg. Une station qui n’avait rien à voir avec Honfleur mais qui avait la particularité d’avoir accueilli des célébrités dans les années 1920-1930. Il se rappela d’y avoir entendu des gens qui sortaient d’un hôtel appelé le Grand Hôtel et qui discutaient dans une autre langue que la sienne. D’après son père, il s’agissait d’Anglais qui venaient visiter le pays.

Il se remémora ce jour où son père les avait emmenés visiter des plages du débarquement. Il se souvint de ces gros blockhaus massifs d’où on pouvait voir des restes de canons rouillés. La ville côtière d Arromanches l’avait marqué avec son grand port artificiel bâti par les Américains pour faciliter l’arrivée de certains bateaux tout comme il avait été étonné par ces plages entourées de fils de fer barbelés avec des pancartes « danger mines », des plages qui étaient interdites aux promeneurs. Pourtant, ce qui l’avait le plus frappé et profondément ému, c’était ces deux cimetières anglais et canadiens dans lesquels il avait vu des centaines se stèles blanches alignées les unes à côté des autres. Le fait que ces hommes aient été tués à des milliers de kilomètres de leur pays et de leur famille l’avait fortement troublé et il avait ressenti de la peine pour eux. 

4 cimetière anglais

5 port d'ArromanchesCabourg,  Honfleur ou Arromanches, trois cités normandes où on l’avait emmené et jamais, il ne s’était aventuré plus loin. C’est alors qu’un mélange de nostalgie et d’inquiétude parsemé de d’interrogations s’empara de lui pendant quelques minutes. Là, il partait vraiment pour une lointaine destination et une foule de questions l’envahirent dont une qui en était presque  angoissante : quand reverrait-il sa famille ? Combien de temps allait-il rester dans ce pays dont il ignorait tout ?

PRISES DE CONNAISSANCES

              Pour chasser ces idées qui le tracassaient, Xavier décida de s’occuper pour passer le temps : il se leva, s’empara de sa valise, la posa sur ses genoux et l’ouvrit. Il en sortit le journal l’Aurore et quelques numéros de Paris Match. Une fois remise sa valise en place, il ouvrit son journal et se tint au courant des nouvelles du jour. Une fois, terminée sa lecture, il s’attaqua à un livre assez épais qui surprit ses camarades. L’un d’eux le questionna :

– Qu’est ce que vous lisez mon lieutenant ?

– Il s’agit du comte de Monte Cristo

– Et ça raconte quoi ce livre ?

-.C’est l’histoire d’un homme trahi par des copains et emprisonné. Il s’évade, trouve un trésor et revient se venger de ces hommes qui sont devenus riches et puissants.

Il se tut un bref instant et releva la tête pour s’adresser aux garçons qui l’accompagnaient.

– Dites-moi les gars, moi je suis de Paris, et vous, d’où venez-vous et comment vous appelez-vous ?

Le garçon face à lui, se présenta :

– Moi, je me nomme Louis et j’arrive de Lens, le Nord et ses mines de charbon ;

Un autre prit la parole :

– Je viens de Picardie, d’Amiens plus précisément et je me nomme François. Je suis menuisier-ébéniste ;

Un troisième se présenta à son tour :

– J’arrive tout droit de Cherbourg en Normandie avec ses vaches, ses pommiers, son camembert et son bon cidre. Je me prénomme Philippe et suis marin-pêcheur.

Xavier intervint aussitôt :

– La Normandie ? Je connais un peu. Honfleur, Cabourg et les plages du débarquement. Par contre, je ne connais pas le reste de cette province.

 Le soldat assis à côté de Xavier parla à son tour :

– Moi, je suis Henri, j’arrive de Blois vous devez connaitre cette ville au milieu des châteaux de la Loire et je viens d’obtenir mon diplôme d’infirmier.

6 Blois

Le sixième se présenta à son tour :

– Moi c’est Hervé Et j’arrive de Quintin en Bretagne. J’aidais mon père dans la ferme familiale quand j’ai été appelé.

Xavier, à son tour, se présenta avant que les hommes ne le lui demandent :

– Je suis le lieutenant Frénon, Xavier Frénon. Je suis diplômé en physique-chimie et j’ai un diplôme d’ingénieur en aéronautique.

Un des hommes laissa échapper un léger cri d’admiration et ne put se retenir :

– Wouaahh ! Vous êtes une tête mon lieutenant. !

– Non pas plus que vous mais j’ai passé ma jeunesse à user mes fonds de pantalons sur les bancs de l’université et ça m’a servi.

Il regarda le dernier des hommes qui somnolait, la tête appuyée sur la porte du compartiment. Portant son doigt à sa bouche, Xavier chuchota :

– Chuuuttt ! Ne le réveillons pas. Il s’apprête à s’endormir. Laissons-le parti pour le pays de ses fort jolis rêves.

En effet, après quelques minutes, bercé par le bruit répétitif des roues du wagon sur la voie, leur camarade de voyage dormait à poings fermés.

La discussion terminée, chacun vaqua à ses occupations pour passer le train. Xavier avant de s’attaquer à son livre, proposa aux autres :

– J’ai ici Paris Match de cette semaine. Ça intéresse quelqu’un ?

Deux hommes tendirent leurs mains ce qui poussa Xavier à intervenir :

– Tiens, toi, prends-le. Quand tu l’auras lu, tu le passeras à ton pote.

Puis chacun vaqua à des occupations diverses. Tandis que roulait le train, les uns après les autres, ils sortirent une cigarette et se mirent à fumer en lisant. En l’espace d’un quart d’heure, le compartiment fut enfumé et fut envahi par une sorte d’épais  brouillard. L’un des gars demanda alors poliment :

– On ne se voit plus ici et ça devient irrespirable. J’entrouvre la fenêtre pour qu’on s’aère.

Il agit et, en quelques minutes, la fumée s’échappa  L’atmosphère redevint alors acceptable pour tous.

Après un bon moment de trajet, Xavier jeta un coup d’œil par la fenêtre du compartiment et constata que le paysage avait beaucoup changé : ils traversaient d’immenses plaines et, au loin, apparaissaient des collines boisées.

CASSE-CROUTE ET INTERROGATIONS.

              Un des hommes le tira de cette occupation pour annoncer :

– Vous avez vu l’heure ? Il est un peu plus de midi. Il serait peut être temps de manger.

Sans attendre la réaction des autres, le garçon se leva et prit sa valise pour en sortir des victuailles. Sans demander leur reste, ses compagnons de route en firent autant et s’occupèrent de réveiller leur camarade qui dormait à poings fermés.

Tous fouillèrent dans leurs valises respectives et, dans un esprit de camaraderie, eurent l’idée de partager avec leurs copains leurs repas respectifs pour leur faire connaitre soit les plats typiques de leur région soit la cuisine de leur mère. Chacun échangea avec plaisir et se régala en découvrant des mets qu’ils ne connaissaient pas.

Après s’être rassasiés  et ressentant comme la sensation d’être repus, les huit soldats eurent la nette envie de s’offrir une petite sieste digestive. Malgré le côté inconfortable des banquettes, les garçons essayèrent de trouver leurs aises au mieux et somnolèrent difficilement malgré les nombreux arrêts qui perturbaient ce petit repos post prandial.

                 Ils furent sortis de leur petite sieste par une voix grave qui s’échappait d’une sorte de haut-parleur :

– «Lyon Perrache, Lyon Perrache, dix minutes d’arrêt ».

Tous se réveillèrent et l’un d’eux, encore  moitié endormi, demanda :

– On est enfin arrivé ? 

Un de  ses copains lui répondit : 

– Non, pas encore. Nous sommes en gare à Lyon.

Le jeune soldat interrogea :

– Mais Marseille est à quelle distance de Paris ? Et quand arrivons-nous ?

Xavier, qui sentait comme une pointe d’inquiétude dans les questions du soldat, s’enquit de le rassurer :

– Ne t’inquiète pas Hervé, j’ai envie d’aller pisser. Si je croise un ancien durant mon petit trajet, je me renseignerai.

Après dix minutes, le lieutenant se leva et annonça :

 – Bon je vais me soulager et je vais essayer de revenir avec des renseignements.

Un des appelés l’interpela avant qu’il ne quitte le compartiment :

 – Au fait mon lieutenant, nous avons mangé nos provisions ce midi mais ce soir, comment fait-on ?  J’espère qu’ils ne vont pas nous laisser le ventre creux.

– Je vais me renseigner Philippe.

UNE RENCONTRE INSTRUCTIVE

Sur ce, Xavier enfourcha les jambes des soldats et se rendit aux toilettes. Après avoir soulagé sa vessie plutôt encombrée, il emprunta la coursive et aperçut devant lui un sous-officier. Il reconnut un adjudant-chef. Face à cet homme, costaud, le visage buriné et un peu rougeaud, Xavier comprit qu’il avait devant lui un militaire qui avait roulé sa bosse. Si quelqu’un pouvait le renseigner ce ne pourrait être que ce genre de militaire. Il s’en approcha, l’aborda et l’interrogea :

– Bonjour adjudant-chef …

7 adjudant chef

Avant même qu’il n’ait pu poser sa question, par réflexe, le sous-officier se mit au garde-à-vous et le salua :

– Bonjour mon lieutenant. Que puis-je pour vous ?

– Dites-moi adjudant-chef, vous avez déjà emprunté la ligne Paris-Marseille ?

– Oh que oui mon lieutenant. Je reviens de ma troisième permission alors c’est vous dire si je la connais.

– Fort bien. A quelle distance Paris se trouve-t-il de Marseille ?

– Environ 800 kilomètres mon lieutenant.

– Et combien de temps met ce train pour faire ce trajet ?

– Si on compte les nombreux arrêts, ce train militaire roule environ 12 heures. Nous arriverons donc à la gare de marchandises vers 21 heures.

– Fort bien adjudant-chef. Comme je constate que vous êtes presque un vétéran et que vous semblez avoir bien bourlingué, votre réponse me pousse à vous poser une autre question.

– Faites mon lieutenant. Que voulez-vous savoir ?

– Les soldats s’inquiètent. Ils aimeraient savoir ce qu’ils vont manger car certains n’ont plus de provisions.

– Qu’ils ne s’inquiètent pas. Vers 19 heures, on passera pour leur proposer des sandwichs et de quoi boire. Ils mangeront mieux quand nous arriveront au camp.

Xavier parut étonné par cette remarque et ne put se retenir de questionner son interlocuteur :

– Nous allons dans un camp ? Pas dans une caserne ou une garnison ?

– Non mon lieutenant mais rassurez-vous. Une fois arrivés, nous serons emmenés au camp Sainte Marthe, un camp que je connais très bien et que j’ai découvert quand je faisais l’Indo pour combattre les Viets. A cette époque ce camp était un immense mais simple camp de transit pour ceux qui partait en Indochine, un camp dégueulasse. Je peux vous dire que c‘était un gigantesque désordre ce camp, un bordel pas possible où tout était arrangé pour le plaisir si vous voyez ce que je veux dire. Xavier s’inquiéta aux dires du sous-officier qui constata son trouble et le rassura :

– Ne vous tracassez pas mon lieutenant, depuis, ça a bien changé heureusement. L’armée s’est arrangée pour que ce camp n’ait plus cette sale réputation qu’il possédait. Vous constaterez par vous même et vous pouvez rassurer les hommes.

Avant que Xavier ne s’en aille, l’adjudant-chef le rappela :

– Mon lieutenant,  si vous voulez acheter de la lecture ou de quoi grignoter, profitez-en, le train ne va pas redémarrer avant 10 bonnes minutes.

– Merci adjudant-chef. Je vais transmettre aux soldats.

Tout en saluant Xavier, le sous-officier répondit :

– A votre service mon lieutenant.

 Puis, tranquillement, notre jeune officier se rendit vers son compartiment et, avant de prendre place, passa la tête par l’entrée pour annoncer :

– Les gars ! Le train ne démarre que dans une dizaine de minutes. Alors, si ça vous dit c’est le moment d’aller faire quelques achats sur le quai.

Un des hommes, le marin-pêcheur dénommé Philippe répondit :

– C’est fait mon lieutenant. Nous avons fait nos emplettes pour le reste du voyage. Et vous, mon lieutenant, vous avez eu les renseignements qu’on attendait ?

– J’ai tout ce que vous attendiez soldat. Je m’assieds et vous en dis un peu plus.

Xavier passa entre les jambes de ses compagnons de voyage, prit place et annonça :

– Entre Paris et Marseille, il y a près de 800 kilomètres et le voyage dure 12 heures. Nous arriverons vers 21 heures ce soir en gare.

Eberlué, Louis le chtimi interrogea :

– On arrive à 21 heures et comment fait-on pour la nourriture ?

Ne t’inquiète pas. Quelqu’un va passer et distribuer des sandwichs. Nous mangerons plus copieusement quand nous serons arrivés à destination.

DUEL PACIFIQUE ET DÎNER BIENVENU.

                Après ces quelques échanges, le train se remit en mouvement. Au bout de dix minutes, un des hommes annonça :

– J’ai acheté un jeu de cartes. Qui veut faire une belote ?

Deux d’entre eux répondirent par la négative. Comme il manquait un joueur, le soldat demanda à Xavier :

– Et vous mon lieutenant, vous faites une partie avec nous ?

Le jeune homme hésita un peu puis répondit :

– Pourquoi pas ? Mais je vous préviens je ne suis pas un champion. Je suis meilleur au tarot. Allez, je vous accompagne.

Deux équipes se formèrent : une qui comprenait Hervé le Breton et Louis, le Lensois. Xavier fit équipe avec François, le Picard.  Ils s’installèrent les uns en face  des autres, deux par deux et commencèrent un partie. 

Durant de longues minutes, les quatre jeunes hommes tapèrent le carton, cherchant comment trouver la meilleure tactique pour gagner une partie. Après une bonne vingtaine de minutes, le duo qui était en duel avec celui de Xavier gagna la partie.

L’un d’eux lança comme un défi :

– Vous voulez une revanche mon lieutenant ?

– D’accord. On commence et que les meilleurs gagnent.

8 cartes à jouer

Une seconde partie aussi endiablée suivit, partie qui fut gagnée par Xavier et son coéquipier. Le jeune officier s’adressa alors à ses adversaires :

– Bon ! Comme il y a égalité, nous allons devoir nous départager. On fait la belle alors ?

Sans hésiter le jeune Breton répondit :

– D’accord et les perdants payent un coup aux autres quand nous serons arrivés.

Tous acquiescèrent la proposition de leur camarade. Une troisième partie fut lancée sous le regard curieux et amusé des quatre autres soldats qui suivaient le déroulement de ce duel.

Après une petite demi-heure, Xavier et son camarade gagnèrent la belle. Le Lensois lança alors :

– Et bien mon lieutenant, pour quelqu’un qui n’est pas un champion vous ne vous en êtes pas mal sorti.

Xavier rétorqua aussitôt sans hésitation :

– C’est un jeu de mémoire, de tactique, j’avais un bon partenaire et surtout, la chance a été notre complice.

–  Bon, après tout ça, nous paierons notre coup comme convenu.

Ils rangèrent le jeu de cartes et se mirent à lire leurs magazines ou leurs livres. Alors que le train roulait, l’un d’eux déclara :

– Regardez ! Là-bas, on voit des montagnes.

Tous se collèrent aux fenêtres et virent défiler les Alpes. Une fois, passé la vision de ce spectacle, ils replongèrent dans leurs activités.

               Une heure plus tard, ils entendirent une voix dans le couloir du wagon qui annonçait :

– Qui veut manger ? Distribution de nourriture et de boissons.

Tous sortirent pour écouter ce que proposait le garçon qui poussait un chariot devant lui :

– Vous avez le choix : sandwich jambon-beurre-cornichon, sandwich pâté ou un sandwich rillettes. Pour les boissons c’est une bière par homme

Chacun choisit son sandwich et prit une bière puis ils refermèrent la porte du compartiment. Philippe, le Normand laissa échapper comme une phrase de soulagement :

– Au moins, on n’arrivera pas le ventre creux.

Les hommes se rassasièrent tout en commentant ce qu’ils pensaient de la qualité de leur sandwich respectif. Puis, après avoir mangé, ils discutèrent de choses et d’autres. Après un bout de temps, certains reprirent leur lecture tandis que d’autres s’offrirent une petite sieste. 

Après un bon bout de temps, ils levèrent le nez de leurs lectures tandis que leurs camarades de voyage sortaient de leur petite sieste. Is échangèrent et discutèrent sur leurs vies, leurs passe-temps, leur travail, leurs petites amies ou leurs familles et pour certains, montrèrent des photos qu’ils avaient sur eux. Après un bon bout de temps, l’un des soldats qui regardait par la fenêtre s’exclama :

–  Eh ! Les gars ! Là-bas, ce ne serait pas la mer: qu’on aperçoit ?  

Xavier et le soldat marin-pêcheur jetèrent un coup d’œil et répondirent ensemble :

– Tu as raison. Cela signifie que nous approchons de Marseille. Nous allons bientôt arriver.

TERMINUS. TOUT LE MONDE DESCEND.

             Après trois quart d’heure de trajet, ils sentirent que le train ralentissait. Au bout de quelques instants, des maisons puis des immeubles apparurent à leurs regards. Pas de doute, le terminus approchait. Tout en prenant leur temps, ils descendirent leurs valises et leurs sacs, se tenant prêts à descendre.

Le train ralentit de plus en plus et ils aperçurent les murs de la gare et le début des quais.  Une voix retentit alors dans un haut parleur :

9 gare saint Charles

– Marseille Saint Charles, Marseille Saint Charles. Terminus.

              Tous se levèrent alors avec leurs bagages et tentèrent se faire une place au milieu des autres soldats qui défilaient dans le couloir du wagon.

Une fois sur le quai, Xavier salua ses compagnons de voyage et regarda  autour de lui. Tout au long de sa marche, chaque vingt à trente mètres, des soldats de la police militaire, fusil à l’épaule et bâton blanc à la main, patrouillaient sur les quais et dans les halls de cette gigantesque gare. Calmement, ils montraient aux arrivants le chemin à suivre. Certains des soldats, quelque peu perdus se demandaient sur ce qu’ils avaient faire. Un adjudant s’approcha d‘eux et leur expliqua sèchement :

– Vous suivez tous les autres jusqu’au bout du quai et vous sortez de la gare. Dehors, vous grimpez dans les camions et les cars qui vont vous emmener au camp. Allez ! Magnez-vous.

              Après avoir remonté le quai, les soldats sortirent de la gare et aperçurent un grands nombre de véhicules militaires qui les attendaient. Tous les soldats furent époustouflés devant la noria de véhicules qui attendaient leur arrivée : des camions, et des bus encadrés par des motocyclistes étaient stationnés cent mètres au loin et n‘attendaient qu’eux pour se mettre en marche. Devant ce spectacle, Xavier réalisa que bientôt, le grand inconnu allait s’offrir à lui.

Yann Brugenn

© Août 2020  

Droits d'auteur Sceau1

copyright n°00050531-1

L’INDÉLÉBILE CICATRICE : UN MOMENT DE RÉPIT AVANT LE DÉPART. Chapitre 3


AVERTISSEMENT : Ce récit n’est en rien autobiographique. Il ne s’agit pas de souvenirs personnels. Les propos et faits décrits dans cette histoire ne reflètent en rien mes idées ou opinions. Ce récit est le fruits de divers témoignages d’anciens appelés du continent,  de trois officiers, de quelques rapatriés d’Algérie, de harkis et d’anciens soldats du F.L.N. qui ont fui leur pays après le putsch de Boumediene. Ce récit est aussi le fruit de souvenirs de reportages radio, de reportages télévisés et de lectures en cachette d’articles dans le journal paternel. Certains propos et dialogues sont authentiques, d’autres sont la synthèse de divers propos tenus par différentes personnes. Tous les noms ont été changés et toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé serait fortuite.

L’INDÉLÉBILE CICATRICE

(ELOGE FUNÈBRE ANTE MORTEM D’UN AVENTURIER PAS COMME LES AUTRES)

Deuxième époque

UN MOMENT DE RÉPIT AVANT LE DÉPART.

Chapitre 2

     Du cocon familial pour une contrée inconnue.

                 Après une demi-heure de trajet dans une rame bondée et plusieurs stations, Xavier descendit à la station Saint Lazare et sortit dans la rue. Près de quelques minutes de marche, il se trouva devant l’immeuble de ses parents. Calmement mais impatient de retrouver les siens, il grimpa l’escalier et frappa à la porte. Elle s’ouvrit et il se trouva devant son petit frère Bernard tout étonné de le voir là. Dans des cris de joie, le cadet appela aussitôt :

– Papa, maman ! Il y a Xavier qui est ici.

Ses parents et sa sœur accoururent aussitôt. Ils serrèrent leur fils dans leurs bras, l’embrassèrent et l’interrogèrent :

– Qu’est ce que tu fais ici ?

– J’ai une permission de  cinq jours avant de partir alors j’en profite.

Il pénétra dans le grand appartement et dut subir un flot de questions. Son père commença :

– Alors mon garçon, ça s’est bien passé ?

– Oui père. J’en ai titré quelques leçons.

Sa mère prit aussitôt la relève :

– Ce ne fut pas trop difficile au moins ?

– Je dois reconnaitre que parfois ce ne fut pas du gâteau mais ça m’a servi.

Son père le questionna à nouveau

– Mais tu es galonné ma parole ! A quoi est-ce dû ? Tu as fayoté ?

1 lieutenant A

– Pas du tout père. Il parait que je suis un homme de caractère qui possède un tempérament et en qui ils ont vu un meneur d’hommes. Ils avaient besoin de quelques officiers parmi les appelés et, quand ils ont lu mon livret militaire, les appréciations de l’instructeur et mes diplômes, leur choix s’est porté sur moi.

LA CURIOSITÉ DU BENJAMIN

Son petit frère tournait autour de lui et le regardait sous toutes les coutures. Depuis qu’il était rentré, le jeune garçon ne cessait de le dévisager. Xavier sentit que des questions démangeaient le petit Bernard.

– Allez Bernard, pose tes questions. Tu en meurs d’envie.

Le jeune garçon ne se fit pas prier :

– Tu n’as plus de cheveux ? Qu’est ce qu’il t’est arrivé ?

– Rien de grave mon petit frère. On m’a coupé les cheveux à l’armée, c’est tout.

– Ah bon ? Et pourquoi ils te les ont coupés très très courts ?

–  Par mesure d’hygiène et pour que je puisse mieux porter mon calot.

Sans attendre, Xavier fit glisser son calot de dessous ses épaulettes et le mit sur sa tête. Le jeune Bernard réagit alors :

– Ah oui. Là, je comprends mieux.

– C’est quoi les barres que tu as sur ta manche et sur ton chapeau bleu ?

– Ce sont mes galons de lieutenant et le chapeau s’appelle un képi.

4 képi de lieutenant

– Un lieutenant qu’est ce que c’est ?

– C’est un officier Bernard.

– Comme un général ?

– Oui mais c’est beaucoup moins important qu’un général.

– Et tu vas commander à beaucoup d’hommes ?

– Oui. A une quarantaine de soldats.

Le garçon détaillait avec admiration l’uniforme de son frère aîné et continua son interrogatoire :

– Et sur tes épaules, qu’est ce que c’est ?

– Ce sont des épaulettes sur lesquelles sont placés mes galons.

L’enfant avait soif d’apprendre, fier de voir frère ainsi vêtu :

– Et les insignes sur ta manche gauche, qu’est ce que c’est ?

– En haut tu as le blason de a ville où est stationné mon régiment et en dessous c’est un losange qui permet d’identifier l’arme à laquelle appartient mon régiment. Sur celui-ci tu aperçois deux épées pour l’infanterie. Le frère de Xavier ne tarissait pas de question au sujet de l’uniforme de son ainé.

– Et sur le haut de ta manche droite ?

– Ça, c’est l’écusson de bras qui précise à quelle unité j’appartiens.

– C’est beau. Et celui qui est accroché à ta poche droite qu’est ce que c’est ?

– C’est mon insigne de corps qui indique le régiment au sein de laquelle je sers.

De plus en plus curieux devant Xavier en uniforme, son petit frère possédait une foule de questions à lui poser et continua :

– Et l’insigne qui se trouve sur ton képi ?

– Les fusils croisés et la grenade ? Ça, c’est un pin’s qui est l’insigne de l’infanterie dont fait partie mon régiment.

5 écusson de régiment

Son petit frère, admiratif devant son aîné, ne cessait de poser des questions et continua :

– Et ça, c’est ton uniforme de soldat ?

– Oui. C’est ma tenue sable. On l’appelle ainsi parce qu’elle a la couleur du sable. C’est une tenure claire pour nous aider à supporter le soleil du pays dans lequel je vais partir. On la porte quand nous sommes en permission en ville ou quand nous défilons.

– Etonné, le cadet voulut en savoir plus :

– Parce que tu possèdes un autre uniforme ?

– Oui. J’ai une que je porterai quand nous serons en opérations pour surveille ou protéger. On l’appelle la tenue Léopard. C’est une tenue de camouflage. Elle est de plusieurs couleurs : celle des pierres de la terre, des cailloux, des feuilles ou de l’herbe. Ça nous permet d’être moins repérables quand on surveille. Viens, je vais t’en montrer une.

Xavier ouvrit  alors un grand dictionnaire et montra à son frère ce à quoi ressemblait la tenue de camouflage.

Intrigué, le jeune garçon la regarda dans le détail et laissa échapper :

– C’est laid. Ce n’est vraiment pas élégant. Je préfère celui que tu portes aujourd’hui.

1 lieutenant B

Le garçon voulait en savoir encore plus

– Et est-ce que tu as une arme ?

– Oui. Un fusil et un pistolet.

Et tu vas tuer des gens alors ?

– J’espère bien que non. Je pars là-bas pour surveiller et maintenir l’ordre. S’il y a des manifestations, je me trouverai là avec mes hommes pour calmer les manifestants et les empêcher de faire des dégâts.

LES JOIES DU RETOUR À LA VIE FAMILIALE

Alors qu’il s’apprêtait à poser d‘autres questions, le père de Xavier intervint et mit un terme au flot incessant de questions du jeune Bernard :

– C’est bien Bernard. Ton frère vient juste de rentrer et il a certainement envie de parler d’autres choses.

Se tournant vers son fils aîné, il lui demanda :

– Je suppose que côté nourriture, l’armée n’a pas beaucoup changé et que l’ordinaire se limite au strict nécessaire ?

– Je dois reconnaitre, père, que par moments et même souvent, les petits plats mitonnés par maman m’ont énormément manqué.

A peine avait-il prononcé ces mots que son père réagit :

– Et bien, nous allons réparer ce manque de l’armée qui n’est pas très camarade avec la gastronomie. Habillez-vous tous, nous allons au restaurant.

Xavier coupa la parole à son père :

– Père, ne dépensez pas votre argent inutilement parce que suis de retour en permission. Les bons plats de maman me suffiront largement.

– Non mon garçon. Tu nous reviens pour cinq jours avec des galons en plus. Ça se fête et je tiens à marquer ce premier soir. Tu goûteras à la cuisine de ta mère les jours suivant.

6 restaurant aux deux magots

Ils descendirent tous et se rendirent dans un petit restaurant de bonne réputation. Alors qu’ils marchaient et discutaient ensemble, Xavier interrogea son père :

– Avez-vous remarqué la façon dont les filles me dévisagent père ? Elles ont un regard étrange et ne cessent de sourire à chaque fois qu’elles me croisent. Qu’est-ce que j’ai de spécial ? C’est à cause de ma  coupe de cheveux « razibus » ?

– Non non ! Sois rassuré. Ça n’a rien à voir bien au contraire.  Ça, mon garçon, c’est le prestige de l’uniforme. Dans le regard de ces jeunes filles, il y a une sorte d’admiration. Pour elles, un soldat, c’est un homme fort, un homme sur qui on peut compter et, dans leur esprit, c’est un homme avec qui elles se sentent protégées. Les galons ne font qu’augmenter cette fascination et ce prestige.

Xavier répondit sur un ton amusé :

– Humm humm ! Je vois je vois. Voilà qui offre de belles perspectives.

Son père laissa un sourire se dessiner sur son visage mais ajouta :

– C’est vrai Xavier mais n’en abuse pas trop tout de même.

Après vingt minutes de marche, ils s’arrêtèrent dans un restaurant et y pénétrèrent. Toute la famille prit place et commença à dîner. Ils discoururent du quotidien, racontèrent ce qu’il s’était passé dans la famille durant l’absence du fils aîné tandis que Xavier leur détaillait quelques anecdotes vécues pendant ces quatre mois. Des anecdotes qui firent parfois rire tandis que d’autres effrayaient le petit Bernard. Il décrivit ses classes, ses longues marches sac au dos, ses exercices et la punition subie pour avoir rouspété. Une heure et demie plus tard, ils sortaient tous en direction du logis parental. Xavier eut cette remarque :

– C’était un délice. Merci père, merci maman. Ça m’a changé des repas pris à la cantine, je vous l’avoue. Je suis rassasié.

Quelques instants plus tard, tous réintégraient le logis. Xavier rentra dans sa chambre et se laissa tomber sur son lit et s’exclama :

– Que c’est bon un vrai lit ! Si vous saviez comme ça m’a manqué. Les lits à la caserne n’ont rien de confortables et sont vraiment durs.

Il se coucha rapidement et, pour la première fois depuis quatre mois, dormit à poings fermés d’un repos bien mérité après tant de journées difficiles.

SORTIES PARISIENNES ET FRATERNELLES

Le lendemain matin, il se leva à huit heures et demie entièrement requinqué.

Une fois douché et habillé, il profita de ce petit déjeuner qui lui avait tant manqué durant ces longues journées.

Celui-ci avalé et, après avoir discuté avec ses parents, il demanda à son frère et à sa sœur :

– Ça vous dirait que je vous emmène visiter des beaux endroits de Paris ?

– Son frère s’emballa mais lui demanda :

– Tu ne mets pas ton bel uniforme Xavier ?

– Oh non mon bonhomme ! Cet uniforme je vais le porter tous les jours sans porter rien d’autre. Alors là, je m’habille en civil comme père et les autres messieurs.

Puis, se tournant vers sa sœur, il l’interrogea :

– Tu te dépêches Odile. Il faut qu’on y aille.

 Sa sœur lui répondit aussitôt :

– Pas moi. Je ne viens pas avec vous. J’ai rendez-vous avec des  copines.

– Comme tu veux mais demain tu m’accompagnes. Fais-moi une liste des endroits que tu voudrais voir et nous irons ensemble.

Un rendez-vous avec des copines ? Xavier n’était pas dupe : sa sœur était une fort jolie jeune fille qui avait tout pour plaire et il se doutait que les retrouvailles avec les copines s’accompagnait avant tout d’un rendez-vous avec un garçon auquel elle tenait.

7 jeune fille 1960

Il prit sa sœur à part et lui chuchota :

– Tes copines tu vas les voir avec un Philippe, un Paul ou un autre je suppose ? Ne t’inquiète pas, je ne dirai rien au parents mais sois prudente et ne fais pas de bêtises.

Réalisant que son frère ainé avait percé son secret, la jeune fille, s’empourpra et lui répondit :

– Rassure-toi, je sais rester sage.

Après une petite heure, il emmena son frère et lui annonça :

– Viens  Je vais t’emmener voir le plus beau musée du monde et tu vas y voir ses merveilles. Je t’emmène au Louvre. Son frère ronchonna mais Xavier lui expliqua :

– Ne râle pas avant d’avoir vu et tu parleras après.

Ils visitèrent le Louvre toute la matinée et le jeune garçon fut étonné devant la Venus de Milo, la Victoire de Samothrace ou une statue de Michel-Ange. Toutes l’intriguèrent :

– Pourquoi la dame  devant moi n’a pas de bras ?

– Parce que c’est une statue qu’on a retrouvée sous  terre et qui est vieille de plus de 2000 ans.

– Et celle qui a des ailes et pas de tête ?

– C’est pareil. On l’a trouvé dans cet état.

– Tu as vu le monsieur là, il est tout nu et ils ne lui ont pas caché la quéquette !

– Normal Bernard. Dans l’antiquité être nu ne choquait pas les gens et parfois, les athlètes couraient tous nus.

– Maintenant que tu as vu plein de beautés, dis-moi, ça t’a plu ?

– Oh  oui beaucoup.

– Ça te dirait de monter dans la tour Eiffel ?

Le garçon sursauta de joie :

– Oh oui ! Super !

– Alors suis-moi, on y va.

8 Tour Eiffel

Une demi-heure plus tard Xavier et son frère se retrouvaient au premier étage de la vieille dame de fer. L’enfant, les yeux écarquillés, regardait Paris tout autour de lui et n’en revenait pas. Devant sa joie, son frère aîné lui annonça :

– Tu as faim mon bonhomme ?

– Un peu oui parce je n’ai rien mangé depuis ce matin.

– Et bien prépare-toi, on va manger ici.

Très étonné, Bernard laissa apparaitre un large sourire de contentement. Quelques minutes plus tard, ils mangeaient tout en regardant parfois Paris d’en haut ;

Ce repas terminé, Xavier emmena son frère au second étage de la tour puis ils redescendirent.

Une fois en bas, l’aîné expliqua à son frère :

Je vais t’emmener voir une cathédrale que les ouvriers ont mis plus de cent ans à bâtir. Elle est considérée comme une des plus belles cathédrales du monde.

Une demi-heure plus tard, les deux frères pénétraient dans la cathédrale Notre Dame.

L’enfant en ressortit émerveillé et riche des explications que lui avait donné son grand frère. Le garçon était ébahi devant toutes les connaissances de son frère et lui demanda :

– Comment sais-tu tout ça Xavier ?

– J’ai travaillé à l’école et au collège, j’ai bien appris mes leçons et lu beaucoup de livres.

Deux heures plus tard, les deux frères pénétraient chez lez leurs parents. Intarissable, le jeune Bernard racontait à ses parents tout ce qu’il avait vu et son repas dans la tout Eiffel.

Le père de Xavier prit son ils à part :

– Xavier ! Je comprends que tu sois heureux de retrouver ta famille mais il ne faut pas que ta solde y passe. Economise mon garçon. Tu vas en avoir besoin quand tu seras là-bas lorsque tu auras droit à des sorties et que tu voudras te faire plaisir.

            Le lendemain, Xavier questionna sa sœur qui lui fit cette proposition :

– J’aimerais voir des groupes de rock au Golf Drouot

Son père intervint aussitôt :

– Quoi ? Tu veux aller voir ces jeunes qui hurlent sur une musique de sauvage, Il n’en est pas question ! C’est un lieu mal fréquenté. On y trouve des blousons noirs. Il n’est pas question que tu côtoies ces énergumènes.

Xavier intervint et tenta de rassurer son père :

Laisse père et ne t’inquiète pas. Je veillerai sur elle.

Son père céda et Xavier emmena sa sœur voir ces fameux groupes. Il fut le premier étonné en entendant cette nouvelle musique qui n’avait rien à voir avec le jazz, la java ou le swing qu’il connaissait mais,  la grande surprise de sa sœur, elle ne lui déplut pas.

10 Golf-Drouot 3

9 Golf Droot 1

            Après avoir entend et vu bon nombre de chanteurs et groupes, Xavier prit sa sœur par le bras et lui dit :

– Odile, il est plus de midi. Ill est temps d’aller manger. Que veux-tu pour ton déjeuner ?

– Je voudrais manger comme les Américains. J’aimerais manger un hotdog avec un bon Coca-Cola.

Son frère se renseigna auprès de jeunes dans la salle et emmena sa sœur.

Quelques minutes plus tard, ils étaient attablés et quand le serveur se présenta, Xavier commanda :

– Pour mademoiselle un bon gros hot-dog et un Coca –Cola. Pour moi, un jambon-beurre-cornichon et une pression s’il vous plait.

Le repas fut meublé par une conversation sur tous les sujets. Celui-ci terminé, ils sortirent et Xavier interrogea sa sœur :

– Et maintenant que veux-tu voir ?

– J’aimerais visiter les Galeries Lafayette, il parait que c’est superbe.

– Odile, si tu comptes y faire des achats, tu n’auras jamais assez de  ton argent de poche. C’est un des magasins les plus chers de Paris.

– Sois rassuré, je ne compte faire aucun achat. C’est juste pour admirer.

C’est un fait que sa sœur se montra très raisonnable et visita le magasin juste pour admirer. Pour toute emplette, elle se contenta d’acheter un fichu devant lequel elle avait finalement succombé. Elle le mit sur sa tête et son frère acquiesça :

– Il te va très bien. Je te trouve fort élégante ma sœurette.

En fin d‘après-midi, tous deux étaient de retour chez leurs parents. Son père demanda à Xavier :

– Et pour demain, qu’as-tu prévu à ton programme ?

– Rien père. Je compte rester ici car ce va être ma dernière journée avec vous. D’ailleurs, comme nous risquons de partir tôt après-demain, j’aimerais rejoindre la caserne demain en fin de journée.

– Comme tu voudras mon fils.

Avant qu’il n’aille se coucher, son père lui administra quelques conseils de vocabulaire :

– Xavier, lorsque tu seras arrivé, il va falloir te familiariser avec quelques mots.

– Oui père. Et quels sont-ils ?

– En Algérie apprends qu’un bled est un petit village, l’Atlas sont des montagnes au sud du pays, le djebel est un massif montagneux, la fatmah signifie femmes en arabe, qu’un fellah est un paysan. Ne les confonds pas avec les fellagahs qui sont rebelles qui mettent le bazar dans ce pays. Et surtout mon fils, respectent leurs us et coutumes, leurs traditions. Ne fais aucune remarque si l‘une d’entre elles te choque. Te rappelleras-tu ce que je viens de te dire ?

– Oui père. Tout cela est noté. Rassure-toi.

Sur ces paroles et conseils, il embrassa ses parents et rentra dans sa chambre pour se coucher.

RETOUR À LA VIE MILITAIRE ET PREMIERS ORDRES

             Il se leva le lendemain après avoir bien profité de son lit, se prélassa dans l’appartement de ses parents et discuta longuement avec eux. Vers dix-huit heures, il partit dans sa chambre et remit son uniforme. Une fois habillé et son sac à la main, il annonça à sa famille :

– Bon, maintenant j’y vais.

Son père l’interrompit aussitôt :

– Nous allons t’emmener fils. Tu seras plus vite arrivé.

Trois quart d’heures plus tard, Xavier se trouvait devant l’entrée de sa caserne. Sa mère lui demanda :

– Sais-tu à quelle heure tu quittes Paris ?

– Aucunement maman. Je vais me renseigner de ce pas.

11 capitaine

Le jeune Xavier traversa une partie de la cour et croisa un des capitaines, le salua et le questionna :

– Mon capitaine, mes parents voudraient obtenir un renseignement.

Apercevant la famille de Xavier, l’officier leur fit signe de le rejoindre. Lorsqu’ils furent face à lui, il s’adressa à eux :

– Mes hommages madame ! Mes respects monsieur ! Je vois que vous portez à votre boutonnière quelques médailles prestigieuses et je les salue

Le père de Xavier répondit alors :

– Il n’y a rien d’extraordinaire capitaine. Je n’ai fait que remplir mon devoir comme vous l’auriez fait.

La capitaine les interrogea :

– Que désiriez-vous donc savoir ?

– Nous aimerions savoir à quelle heure notre fils quitte Paris et où a lieu le départ ?

– Trouvez-vous devant la caserne dès sept heures demain. Essayez d’être en avance car il y aura beaucoup d‘autres parents. Le départ des trains a lieu à la gare de Versailles-Chantiers.

Sur ces réponses, les parents embrassèrent leur fils et réintégrèrent leur automobile.

            A cinq heures et demie le lendemain Xavier et tous les autres appelés se trouvaient dans la cour, obéissant aux ordres d’officiers qui leur montraient des camions et des bus militaires alignés les uns derrière les autres. Après une longue demi-heure, des centaines d’hommes étaient agglutinés sur le trottoir pour dire au-revoir à leurs parents Soudain, vers sept heures moins le quart, Xavier vit arriver sa famille au loin qui le cherchait des yeux. Surpris, il fut étonné de les voir au milieu des autres parents, Il courut vers eux et leur dit :

– Suivez-moi sur le trottoir. Nous nous dirons au-revoir ici.

Alors qu’il s’apprêtait à saluer une dernière fois  sa famille, un sergent intervint et tenta de les séparer avec des mots brefs :

– Allez ! On ne prend pas de retard. Dépêchez-vous de grimper dans un des camions ou des cars.

 Choqué, Xavier fixa durement le sous-officier et l’entraina à quelques pas de ses parents. Le sergent se rebiffa :

– Je vous ai donné l’ordre de monter dans le train

Courroucé, Xavier porta un de ses doigts à une de ses épaulettes et demanda avec autorité au sous-officier :

– Sergent ! Que voyez-vous là ?

Par réflexe, l’homme se mit au garde-à-vous et salua. Penaud, il s’exprima :

– Veuillez m’excuser mon lieutenant.

Avant qu’il ne fasse demi-tour, Xavier le retint et le sermonna :

– Je n’ai pas terminé sergent. Veuillez m’écouter attentivement. Vous rendez-vous compte de ce que vous faites sur le quai sergent ?

– Oui mon lieutenant. J’exécute des ordres.

– Alors, apprenez sergent, que dans certaines occasions, les ordres sont faits pour être exécutés en s’adaptant aux situations. Vous ne trouvez pas que les situations vécues sur le quai sont difficiles ?

– Si mon lieutenant mais…

Sèchement et avec beaucoup d’autorité, Xavier s’en prit au sous-officier :

– Vous vous rendez compte que ces familles disent au-revoir à leur fils ou leur frère peut être pour la dernière fois ? Vous êtes conscient que, sur ce quai, pour certains parents ces au-revoir à leur fils sont peut être les derniers et qu’ils ne le reverront peut être jamais vivant ? Vous en rendez-vous bien compte sergent ?

Gêné, le sous-officier bafouilla :

– Je ne voyais pas les choses comme ça mon lieutenant.

– Et bien, désormais agissez en sergent sans oublier que vous êtes un homme avant tout. Laissez un peu de temps à ces familles pour se dire au-revoir et avant de les séparer, montrez-vous humain et compréhensif. C’est un ordre ! Compris ?

– Compris mon lieutenant.

De loin, les parents de Xavier avaient assisté à la scène et son père dit à son épouse :

– Nous n’avons pas à nous inquiéter. Notre fils s‘avère être un meneur d’hommes. J’aime assez ça. Xavier les rejoignit.

Une autre personne, non loin de là, avait assisté à cette scène : il s’agissait du capitaine du régiment de Xavier. Vexé d’avoir été rabroué par un jeune lieutenant, le sergent ne tint pas compte de ses ordres et se dirigea vers lui. Xavier s’en aperçut et observa discrètement la scène.

Durant quelques minutes, une brève conversation s’engagea entre le sous-officier et le capitaine. Apparemment, les propos du sergent ne convainquirent pas l’officier. La conversation terminée, le sergent salua et quitta son supérieur. Le capitaine qui avait aperçu Xavier, opina du chef et leva son pouce discrètement. Xavier se sentit réconforté. Quelques secondes lus tard, le sergent se présenta devant lui, se mit au garde-à-vous, le salua et dit :

– Je vous prie de m’excuser mon lieutenant.

– Excuses acceptées sergent. Allez ! Retournez faire votre travail et montrez-vous plus tolérant et humain avec ces familles. Dès que vous aurez rejoint le quai, transmettez cet ordre à vos collègues. Compris ?

– Compris mon lieutenant.

– Alors, rompez ! Et agissez en vous montrant plus conciliant et plus diplomate sinon je vous sacque.

12 sergent qui salue

DERNIERS AU REVOIR

Xavier et ses parents continuèrent leur conversation là où elle avait été interrompue. Son père s’adressa à lui en ces termes.

– Mon garçon, je t’ai vu à l’œuvre et je sais que tu sauras mener tes hommes en bon officier. Puisque tu vas avoir des hommes à commander, sois ferme et autoritaire avec eux mais, avant tout, respecte-les et montre-toi juste.

– Oui père. Je ne comptais pas agir différemment. Se tournant vers sa sœur, il lui conseilla :

– Ma sœurette, décroche ton baccalauréat et fais de belles études. Ça te donnera l’occasion de faire le métier qui te plaira.

Puis, s’accroupissant devant son frère, il lui conseilla :

– Et toi, Gérard, maintenant que tu es au collège, travaille dur et bien. Ça te permettra de décrocher un beau diplôme qui te donnera l’occasion d’avoir le métier de tes rêves.

Le frère et la sœur acquiescèrent après avoir entendu les propos de leur frère. Celui-ci les serra dans ses bras et les embrassa.

Il s’approcha de son père qu’il étreignit  longuement, un père qui lui prodigua des derniers conseils :

– Au revoir mon fils. Une fois arrivé là-bas, sois digne et conduis-toi en homme, sois brave mais pas intrépide, courageux mais pas téméraire et ne prends pas de risques inutiles.

– Je vous le promets, père.

Avant qu’il ne quitte ses bras, son père mit la main dans sa poche intérieure et sortit des billets de banque :

– Tiens mon fils, voici 10 francs. Ça t’aidera à améliorer l’ordinaire.

Emu, Xavier remercia son père :

– Merci père mais il ne fallait pas vous savez.

Après une dernière longue étreinte, il marcha vers sa mère, qui, la gorge nouée, avait les yeux embués de larmes. Bien que le cœur lourd à l’idée de quitter ses parents et de partir pour une destination inconnue, Xavier tenta de faire bonne figure pour ne pas alourdir le chagrin de sa mère :

– Au-revoir maman. Ne pleure pas, je t’en prie. Comme je l’ai dit à père, je me montrerai prudent. Ce que je pars faire là-bas, c’est du maintien de l’ordre alors, ne te  tracasse pas.

Sachant pertinemment qu’il mentait à sa mère, il la serra contre lui, l’embrassa longuement et lui promit :

– C’est un au-revoir maman. Je vous écrirai dès que j’aurai du temps. Bon, maintenant il faut que je vous quitte.

Xavier laissa ses parents sur le trottoir.

Lorsqu’il s’apprêtait  grimper dans un des camions où étaient entassés des soldats par groupes de huit ou dix, un sergent vint vers lui :

– Pas vous mon lieutenant. Vous allez dans un des cars avec les autres officiers et les sous-officiers.

13 camion militaire bis

13 camion militaire

UNE ÉTRANGE DESTINATION

              Xavier s’exécuta et monta dans un des cars.

Une fois les camions et les cars pleins et Xavier à l’intérieur, il essaya de trouver urne place pour pouvoir faire un dernier signe de la main à ses parents. Cette place trouvée, alors que les véhicules se mettaient lourdement en marche et commençaient à rouler, les parents virent peu à peu s’éloigner leur fils qui se pencha à la fenêtre et leur fit des derniers gestes de la main.

Le convoi se mit en route vers la gare de marchandises «Versailles Chantiers» que certains nommaient, «Versailles Matelots» parce qu’il se trouvait non loin du Camps des Matelots.

Après une longue heure de route à travers la banlieue parisienne, ils arrivèrent et s’arrêtèrent à sa grande surprise tout comme celle des autres soldats dans une dans une vaste gare qui n’avait rien de celle à laquelle ils s’attendaient tous. Ils se trouvaient dans une immense gare de triage et de marchandises, en pleine campagne.

Encore sous l’effet de leur surprise devant cette gare à laquelle ils ne s’attendaient pas, les hommes descendirent des camions et des cars et rejoignirent le quai où les attendait

Gare VersaillesChantiers 1

Tous descendirent et se retrouvèrent agglutinés sur les quais. Inquiet, l’un d’eux, voyant tous les wagons de marchandises alignés les uns derrière les autres, interrogea ses camarades :

– Ils ne vont tout de même pas nous faire voyager  dans ces wagons ?

Un de ses camarades, farceur, lui répondit avec beaucoup d’assurance :

– Si bien sûr. Qu’est ce que tu croyais ? Voyager en première classe ?

Atterré, l’autre soldat s’inquiéta :

– Mais ce va être très inconfortable. Et le voyage, il va durer combien de temps ?

– Rassure-toi, ils ont installé des couchettes. Le terminus est à deux mille kilomètres alors le voyage va durer au moins vingt heures.

Le soldat n’en revint pas et resta coi durant de longues minutes sans s’apercevoir que ses camarades riaient sous cape.

Surpris lui aussi par ce lieu de départ, Xavier se fraya un passage au milieu des soldats et chercha un officier. Il tomba sur un capitaine qui fumait sa pipe. Après s’être excusé auprès de lui, il lui posa une question sur ce qui le taraudait :

– Dites-moi mon capitaine, pourquoi embarque-t-on dans une gare de marchandises et non dans une gare normale ?

Le capitaine lui donna une explication très simple et fort claire :

– Les départs en train des soldats se font à partir de cette gare. Nous démarrons d’ici parce qu’au début, des gens opposés au départ de soldats en Algérie, des pacifistes comme ils s’appellent, venaient perturber les départ et les retarder le plus possible. Certains bloquaient les camions et les cars, d’autres envahissaient les quais et faisaient barrage pour empêcher les hommes d’avancer. On en a même vu qui s’allongeaient en travers des voies pour empêcher les trains de démarrer. A chaque fois, il fallait faire intervenir les gendarmes et les C.R.S. pour rétablir l’ordre mais nous partions toujours avec une à deux heures de retard. Donc, désormais nous partons d’ici exprès pour que les embarquements des militaires soient discrets.

Xavier rejoignit les soldats et voyant le soldat inquiet le rassura en lui expliquant que ses copains lui avaient fait une blague.

14 train militaire

Leur train qui s’étirait sur des dizaines de mètres les attendait, un train perdu au milieu de trains et de wagons de marchandises dont certains commençaient à se mettre en mouvement.

 Xavier grimpa dans un des wagons et tenta de se faire une place dans un des compartiments, où les soldats se trouvaient à huit par compartiment.  Après de longues minutes à arpenter les couloirs avec sa valise et son sac, il trouva un compartiment avec une place de vide. Il s’adressa aux soldats déjà présents :

– Bonjour les gars ! Cette place est-elle libre ?

Sans hésitation, les soldats répondirent :

– Oui mon lieutenant. Installez-vous.

Il rangea sa valise, posa son sac sous son siège et s’installa le plus confortablement possible. Un des hommes l’interrogea :

– Nous allons bien à Marseille mon lieutenant ?

– Absolument soldat.

Une autre question fusa :

– Et savez-vous combien de temps dure le voyage ?

– Je ne saurais vous dire précisément mais comme nous sommes à près de mille kilomètres de Paris et que nous allons sûrement nous arrêter de temps à autre, je suppose que notre voyage va durer au moins dix heures.

             Trois quart d’heures plus tard, le train se mettait lourdement en marche. Dans l’esprit de Xavier, de nombreuses idées et des sentiments divers et parfois confus se mélangeaient : une époque nouvelle s’ouvrait devant le jeune officier qui partait vers l’inconnu.

Yann Brugenn

© aout 2020

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14 Copyright n°1